Chapitre 11

56 4 2
                                    

Bonnie et Dulcie s'envolèrent le soir même. Elles avaient fait leurs bagages dans l'après-midi, n'emportant que le strict minimum et quelques objets de valeur qui pouvaient tenir dans leur petite valise respective. Puis elles avaient quitté l'appartement et pris la ligne de tramway jusqu'au terminus, pour se rendre à l'hôtel le plus loin accessible à pieds.

Avec le temps, elles perfectionnèrent leurs techniques. Elles voyageaient durant le jour, et se trouvaient un lieu sûr où dormir la nuit, du moins se reposer, sans laisser le moindre indice dans leur sillage.

En moins d'un mois, elles écumèrent tous les établissements du département avant de lever l'ancre pour de bon. Avec l'adrénaline de garder leur identité secrète à chaque endroit où elles séjournaient, elles eurent l'impression d'être sous extasie en permanence. Elles avaient même, durant un temps, réussis à échapper au radar de Mr. Laurent.

Comme des pirates sur leur voilier, elles dupèrent tous ceux qui croisaient leur route. Elles étaient parties à l'abordage de tous les navires de l'océan, à la recherche d'un trésor abyssal. Cela leur était cependant égal. On avait déclenché en elles une confiance qu'elles ne se voyaient pas rendre, une confiance quasi absolue. C'était devenu une drogue qu'elles s'injectèrent au quotidien ; faisant passer les semaines pour des jours et le luxe pour de l'oxygène.

Dulcie fut méconnaissable lorsqu'au coucher du soleil, elle se présenta à l'accueil d'un énième palace. La façade, illuminée de lueurs dorées, semblait resplendir de l'intérieur, comme un diamant taillé à la perfection. Ça n'était pourtant qu'un détail en comparaison du grand hall, dont les murs vernis avaient viré au rosé.

La jolie blonde s'immobilisa devant, comme une top-modèle qui poserait au bout du podium, et observa les lieux avec les yeux blasé d'une milliardaire. Elle portait cette sublime robe de satin écarlate, qu'elles avaient trouvé quelques jours plus tôt dans l'un de ces magasins où les gens comme elles ne pouvaient faire que du lèche-vitrine. Entre sa taille marquée et l'échancrure qui remontait jusqu'au milieu de sa cuisse, elle ne pouvait pas être plus faite pour elle. À vrai dire si, car les fines bretelles qui retenaient à peine le tissu sur son buste attirèrent tous les regards.

Elle retira les larges lunettes sombres qui lui couvrait la moitié du visage, pour révéler un maquillage corail, qui allait parfaitement avec ses lèvres brillantes, sa chevelure plaquée en arrière, et son pendentif tombant jusqu'au creux de sa poitrine. Elle réajusta le majestueux serre-tête qui la couronnait de cuivre et, dans une démarche digne des défilés les plus réputés, elle se dirigea vers la réception, située sous une pluie de feuilles d'or qui parut chuter du plafond de verre.

Feignant de l'ignorer, elle ne jeta pas un coup d'œil vers Bonnie, qui s'était présentée en tant que son agent artistique pour l'occasion. Puis Dulcie resta une longue minute sous la coupole, obnubilée par le crépuscule qui se déployait en un drap incandescent. Des bandes rouges parcouraient la voûte et l'irradiaient comme une coulée de lave en fusion.

Elle attendit un court instant, aux abords d'un petit salon au tapis bleu roi, et aux rideaux crème dressés à plusieurs mètres de hauteur, avant qu'on ne vienne la recevoir à la manière des personnalités les plus célèbres. En un rien de temps, on la débarrassa de ses affaires et la conduisit à sa suite, dont la terrasse donnait sur les toits des immeubles alentour.

Une fois seule, elle vérifia le vis-à-vis. À la fenêtre, elle scruta le moindre volet de travers et tous les angles morts possibles, le silence comme témoin de leur tranquillité. Elles ne pouvaient pas se faire prendre. La voie sembla libre.

Elle fit un pas vers la balustrade et un moineau survint de nulle part, pour atterrir dessus, avant d'immédiatement repartir. Dulcie se raidit sur place. Elle avait senti son cœur rater un battement et sa respiration se couper net, mais elle prit une profonde inspiration et se ressaisit. Le coin était paisible. Elle devait se détendre et profiter du répit qu'elle aurait ici.

Le Revers du Velours [LIVRE 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant