Chapitre 16 (TW: mention de suicide)

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Au petit matin, Bonnie dormait profondément dans le lit, comme à son habitude. Dulcie, quant à elle, ne lui en voulait pas. Enfin elle ne lui en voulait plus, elle savait qu'elle n'était pas responsable. Seulement, toujours éveillée, elle n'allait pas bien.

Elle n'avait pas fermé l'œil. Au cours de la nuit, elle avait compris que ne pas agir revenait à rester coincer. Que ne rien faire, c'était consentir à l'horreur que ce monstre lui faisait subir. Et lorsque l'obscurité l'entourait, elle ne pouvait plus fuir.

Ainsi, elle prit une terrible décision pour y mettre fin. Elle rédigea d'abord une lettre à Bonnie, pour s'excuser de ce qu'elle s'apprêtait à faire, malgré l'énorme risque qu'elle ne lui pardonne pas, mais elle n'avait plus aucune autre possibilité. D'autant qu'à l'instant où elle termina d'écrire, Dulcie n'avait pas la moindre certitude de revoir un jour celle qu'elle aimait par-dessus tout.

Un réel crève-cœur, mais inéluctable. La gorge grippée par les sanglots, elle glissa la feuille de papier entre le matelas et le traversin. Elle remarqua alors, dans la lueur d'un faible rayon de soleil, la marque sur l'avant-bras de Bonnie. De quelle ixième épreuve pouvait-elle bien provenir ? Elles avaient quoi qu'il en soit suffisamment souffert toutes les deux, pensa-t-elle. Cela étant, elle ne put contenir davantage ses reproches. Était-elle sûre de vouloir en rajouter ? Non ! C'était pour sa sécurité ! C'était mieux comme ça ! Il fallait que ça cesse.

Elle l'embrassa sur la tempe. Puis brutalement, et aussi silencieusement qu'un oiseau de proie, la panique la saisit. Elle eut l'impression de quitter l'atmosphère, ne suffoquant plus qu'un gaz sec et corrosif. Impossible de retrouver son souffle, déjà trop loin dans l'espace.

Une main sur la poitrine, elle fit quelques pas en arrière comme pour récupérer l'oxygène qui lui manquait. En vain. Au lieu de ça, elle eut le tournis. Un frisson lui courra partout dans le corps. Des centaines de tremblements d'un coup. Une pince d'acier autour du crâne. De la braise dans le cerveau. Un enfer intérieur.

Les murs bis virevoltèrent dans tous les sens quand elle se précipita dans la salle de bain. Son épaule heurta violemment le chambranle de la porte. Pourtant la douleur n'était pas comparable à celle dans son thorax. Elle perdit l'équilibre et tenta de se rattraper au bord du lavabo, mais les dalles sombres se rapprochèrent brusquement, et elle s'écroula par terre sans même s'en rendre compte.

― J'a... rrive... pas... à...

Les serres de l'angoisse venaient de se planter dans son cœur ; sans plus lâcher leur prise. Elles lui éraflèrent les poumons, lui écrasèrent le diaphragme, lui asséchèrent la trachée. Les larmes aux yeux, elle crut prendre ses dernières inspirations. Elle asphyxiait, repliée sur elle-même, tordue de peur. Parce qu'il ne pouvait pas en être autrement, elle allait périr. La mort lui avait empoigné le palpitant et elle n'allait pas s'en sortir vivante.

*

Bonnie se réveilla doucement. Elle baignait encore dans la fumée de ses songes, lorsqu'elle se redressa au milieu du sommier ; seule. Elle se frotta les paupières un long moment, sans parvenir à en retirer le poids qui s'y était couché.

À peine debout, elle remarqua par la fenêtre, derrière le rideau bleuté, les pétales flétries et brunies par l'agonie, qui étaient tombées des derniers arbres fleuris, et qui jonchaient le terrain de l'arrière-cour comme un tapis nécrosé. Tandis que leurs branches dégarnies ressemblaient de plus en plus à des racines déterrées.

Il y avait des journées comme ça, où la plus infime contrariété rendait la beauté laide, les odeurs puantes, le goût du présent fade, et les lendemains nauséabonds. Des journées où elle se sentait lourde et engourdie, comme si une couette épaisse lui était tombée sur la tête.

Le Revers du Velours [LIVRE 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant