Chapitre 1

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Elle avait tout prévu. De ses ongles à peine brillants, à la lumière tamisée de la chambre, elle semblait prête. Elle avait préparé sa lingerie la plus seyante, et lâché sa généreuse crinière pour cette fin de journée. Bien que s'habiller était ordinaire, elle l'avait fait la boule au ventre. Elle était loin d'être à l'aise, et sa lèvre du bas qu'elle mordillait depuis longtemps déjà en subissait les conséquences. Entre les sequins de sa robe couleur bronze, qui lui grattaient les bras à chaque fois qu'elle les ramenait contre elle, et les talons de ses escarpins, qu'elle n'avait certainement pas l'habitude de porter si haut. Les circonstances de ce jeudi n'étaient pas habituelles et elle en avait conscience.

Elle sentait l'agitation du monde à l'extérieur. Pour autant, cela ne changeait rien à la sérénité qui régnait ici. Elle se trouvait quelque part où les choses allaient moins vite, où la vie prenait son temps. Elle attendait depuis un certain nombre de minutes face à la baie vitrée, à demi-cachée derrière le long rideau opaque, ses iris bruns fixés sur la ville qui sombrait lentement dans un soir bleuté.

Le lieu était silencieux et confortable. Les grands carreaux qui formaient l'angle de la pièce donnaient sur les hauts immeubles de verre. Alors elle pensa à l'idée que, parfois, il était préférable de ne pas voir à travers les choses. Même si celle de traverser la glace lui tenta assez dans l'immédiat.

À ce moment précis, elle aurait voulu être ailleurs, dehors pour une fois, là, près de ce feu tricolore qui passait au rouge après une longue pause, ou à côté, sous cet arbre en fleur dans lequel paraissait flotter un nid de fines branches et de pétales rose pâle. Elle aurait souhaité être partout sauf à cet endroit. Elle guetta les véhicules rouler dix étages plus bas et se sentit de nouveau très seule. Mais, après tout, elle avait décidé de se mettre dans cette situation.

Trois coups frappèrent à la porte. Elle tourna brusquement la tête vers l'entrée, le souffle coupé. Ses yeux observèrent la serrure comme si cela pouvait la verrouiller à distance. Un instant dura sans qu'elle ne fasse le moindre mouvement. Peut-être qu'elle pouvait tout annuler. Elle en avait encore les moyens. Il lui suffirait de ne pas répondre. C'était simple. Enfin, ça aurait pu l'être si elle ne s'était pas finalement résolu à aller ouvrir.

Ses chaussures qui frottaient timidement la moquette crème, cognèrent désormais contre le parquet foncé du vestibule. Elle se dit qu'il serait moins difficile d'être courageuse quand elle n'aurait plus le choix. Seule, devant ce seuil si peu éclairé, elle se rehaussa, prit une profonde inspiration, et tira sur la poignée.

Sa figure se figea sur un doux visage féminin, dont le regard océan était à la fois assuré et méfiant. C'était une ravissante blonde, légèrement plus grande qu'elle, aux lèvres cuivrées, vêtue d'un long trench-coat noir, ouvert sur une courte étoffe rouge et moulante : elle ne portait manifestement pas de soutien-gorge. Sa vue s'attarda le long de sa nuque, où une paire de petits grains de beauté colorait le teint éclatant de sa peau.

― Oh ! Je crois que je me suis trompée de numéro, dit alors la jeune femme toujours sur le palier.

― Non, non, c'est bien ici, rassura-t-elle aussitôt. Je vous en prie, entrez.

Elle recula d'un pas pour la faire entrer, puis referma après son passage.

Les deux demoiselles se dirigèrent hors de l'antichambre, tandis que l'invitée se débarrassait de son manteau, qu'elle déposa sur le dossier du fauteuil en toile chinée, près de la fenêtre. Cette dernière rejoignit ensuite celle qui l'avait choisie pour l'heure à suivre. Elles s'assirent ensemble sur la bordure du lit qui centrait la chambre, et accordèrent leurs premières paroles au silence.

Le Revers du Velours [LIVRE 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant