Chapitre I : La Porte

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J'avalais la dernière gorgée de ma Guinness et fit résonner le cul de la chopine sur le bar.

« Ah putain  ! Ça fait du bien ! »

Alan m'imita, avant d'essuyer la moustache blanche que la bière avait dessinée sur sa lèvre supérieure.

« Tu l'as dit ! répliqua-t'-il avec son accent écossais qui lui faisait rouler les r, tout en reprenant son souffle. J'y croyais plus, mais ça y est, ON EST EN VACANCES !  » scanda-t'-il à l'attention des Londoniens pressés de commencer leur soirée de beuverie.

Quelqu'un dans un box proche, sûrement un étudiant comme nous, acquiesça d'un beuglement animal, auquel nous répondîmes de la même façon. Quelques instants plus tard, l’espace était noyé dans un brouhaha des plus festifs.

Pour fêter la fin de nos examens nous avions choisi notre pub préféré, le Princess Louise, fierté d'Holborn. J'appréciais particulièrement la disposition des différents box autour du bar, qui permettaient de s'isoler du reste des clients tout en bénéficiant de l'ambiance générale qui animait le pub. Le bois noble qui composait les panneaux et la lumière tamisée faisait qu'on s'y sentait simplement bien.

« Plus de profs, plus d'exams, plus de conneries, on est enfin libre.

- Ouais bah parlez pour vous, moi j'ai un internship à trouver pour l'été. Ça veut dire pas de vacances pour moi » nous répondit Darren, son habituel sourire triste imprimé sur son visage.

Darren Ogilby était le grand frère d'Alan, de deux ans notre aîné. Assez bien fait, son front large et son menton en galoche lui donnaient un air volontaire. Ses petits yeux bleus enchâssés sous d'épais sourcils laissaient flotter une aura mystérieuse dans son regard. Comme son petit frère, il était très beau et tous deux partageaient cette prestance naturelle qu'ils disaient tenir de leurs prestigieux ancêtres. Darren venait de finir sa première année de Master de finances et devait trouver un stage en entreprise pour valider son semestre. Comme à son habitude, il avait attendu le dernier moment, comptant sur sa bonne étoile pour lui ouvrir la voie du succès. Darren était un opportuniste à qui tout réussissait.

« Tu ne me feras pas pleurer sur ton sort, lui répondis-je. Pendant qu'on bûchait sur nos exams, toi tu faisais la fête tous les soirs ! C'est à notre tour, maintenant. »

L'année avait été interminable et je n'avais pas eu beaucoup de temps pour profiter de la vie londonienne. En plus de mes études de cinéma qui accaparaient le plus clair de mon temps, j'avais passé quatre soirs par semaine à bosser dans un bar de l'East-end.

J'avais pu voir les autres s'amuser, ce qui était presque aussi fatigant de faire la fête soi-même et je préférais rester à la maison à bûcher sur mon projet de fin d'année dès que j'avais une soirée de libre.

Alan, mon colocataire, qui suivait un cursus pour devenir ingénieur dans la même université que moi, sortait encore plus rarement. Il s'enfermait de longues heures dans sa chambre à travailler et n’en ressortait que pour manger ou se laver. Derrière ses yeux bruns légèrement en amande qui lui donnaient l'air ennuyé, se cachait un esprit génial constamment en ébullition.

Alan passait le plus clair de son temps à créer des instruments de musique, des pédales d'effets et des programmes informatiques de MAO dont la durée de vie ne dépassait jamais 24 heures. Il trouvait toujours quelque chose à retoucher, ou s'acharnait dessus à tel point qu'ils finissaient par bugger.

Autant dire que les vacances qui s'offraient à nous allaient être l'occasion de décompresser, et nous avions tenu le coup durant toute l'année sur cette seule idée. Profiter enfin de la vie, le temps d'un été.

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