Lundi,
Après cinq longues années d'études, la première journée d'un externe en pharmacie est, comme pour beaucoup d'autres jeunes externes, l'une des plus attendues et des plus terrifiantes à la fois. Ne pas savoir où l'on se rend, ce que l'on va y vivre, ni même dans quelle voie on s'apprête à s'engager est à la fois un suspense insoutenable et exaltant. Si l'internat peut ressembler à un véritable cadeau, une récompense excitante, le fruit enfin mûr de cinq années d'efforts et de concessions, l'externat est, quant à lui, une sorte de surprise dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. Et, pour une fille comme moi, habituée à planifier la moindre plus petite parcelle de sa vie, ce genre de « surprise » peut paraître véritablement terrifiante...
Ma nuit a été courte. J'ai sacrifié les neuf dernières heures de sommeil que je m'octroie tant bien que mal en temps normal pour — comme à mon habitude — programmer dans le moindre détail cette première journée. Dans le moindre détail... Rien ne doit être laissé au hasard. Rien ne doit être mis de côté. Rien ne doit rester à l'imprévu. Cette journée étant l'une des plus importantes de mon année scolaire, je ne peux pas me permettre le moindre faux pas.
L'affichage numérique de la radio indique huit heures quinze tandis que je file à bonne allure sur l'arcade principale de la ville. Je suis surprise par le peu de monde, mais finalement quelque part aussi un peu rassurée de parvenir sur le parking visiteur de l'hôpital avec pas moins de dix minutes d'avance sur mon planning.
Les trois premières rangées du parking bitumé sont bien entendues déjà pleines à craquer de monde, mais je possède désormais suffisamment d'avance pour m'organiser confortablement avant mon arrivée dans le service, donc je prends le temps de tourner entre les lignes afin de me dégoter une petite place tranquille sous l'ombre d'un figuier entre deux berlines flambant neuves. Ce qui s'avère finalement être un choix peu judicieux lorsque je dois me contorsionner pour m'extirper de mon propre véhicule sans venir heurter les deux autres carrosseries autour de moi. Je dois me plier à nouveau côté passager pour venir sortir tout aussi difficilement mes affaires du véhicule avant d'enclencher la fermeture centralisée. Je prends le temps de vérifier par deux fois que toutes mes portes sont bien fermées — une sorte de « tic » parmi tant d'autres lorsque je suis stressée — avant de m'engager sur la voie réservée aux piétons descendant en direction du CHU.
Je serpente pendant quelques minutes entre les nombreuses allées du parking avant de gagner enfin l'orée des derniers arbres. Je prends à nouveau quelques secondes pour fermer les yeux et happer une profonde goulée d'air frais. Il est temps. Cela m'exalte autant que me terrifie et je peux d'ailleurs sentir ma gorge se nouer à m'en étouffer à cette simple pensée, mais il est temps et je n'ai plus vraiment le choix. Ni même la possibilité de reculer désormais, alors...
Je rouvre les yeux, observe l'impressionnante structure qui se dessine entre les cimes des arbres. Maintenant que je me suis battue pour arriver aussi loin, je n'ai plus le droit de faiblir. Et de rester plantée là comme une âme esseulée et perdue alors que je suis parvenue à gagner tant bien que mal de précieuses minutes sur mon planning si bien ficelé !
Inconsciemment, je hoche la tête. Aie confiance. J'ai tout prévu, tout planifié, tout envisagé, et ce, dans le moindre détail. Que peut-il donc bien m'arriver ? Rien. Strictement rien. Il est donc totalement inutile d'avoir peur. Je renifle inélégamment dans l'air froid et humide du matin avant de me diriger d'un bon pas vers l'entrée principale du CHU. Rien. Il ne peut rien t'arriver.
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Il faut tout d'abord que vous sachiez que c'est la première fois pour moi — comme pour la plupart des autres externes en réalité à ce stade de nos études — que je me retrouve à travailler dans un hôpital et l'effervescence matinale qui y règne ajoutée à la grandeur des lieux a le don de vous tétaniser.
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Galien vs Hippocrate [Tome 1]
General Fiction« Le médecin qui ne peut pas s'appuyer sur un pharmacien de premier ordre est un général qui va à la bataille sans artillerie », Louis Farigoule, dit Jules Romains Lorsque Laura Miller débute enfin son premier jour en tant qu'externe en pharmacie da...