C'était à peine un dragon

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[Dragon noir et tête de dragon de pétales de Séverine Pineau, édition Au Bord des Continents]

C'était à peine un dragon.

Au commencement, l'artéfact du Masque avait du être créé pour donner à son porteur l'apparence d'un dragon ténébreux et maléfique. Cependant, son principal maitre n'avait jamais été autre que la forêt. La forêt, qui avait influencé l'objet. Voilà donc qu'Eirin s'était changé en sombre dragon aux griffes acérées et à l'ombre sournoise... enveloppé de ronces et le museau recouvert de pétales de fleurs, le lierre parcourant ses ailes et ses pattes, le feuillage l'ombrageant et l'enveloppant de plus encore de ténèbres.

Non resta muette. Eirin cligna des yeux, ne se reconnut pas immédiatement dans ce corps. Il prit le temps de s'observer. Il possédait une longue queue qui se terminait en triangle. Des écailles pareilles à la spinelle, si luisantes, si ténébreuses, comme une armure d'ombres. Il avait aussi des pattes fines mais rapides, munies de griffes acérées et blanches qui avaient tendance à contraster avec le reste de son corps. Ses ailes décharnées accompagnées de larges feuilles semblaient petites pour sa taille. Ses cornes et ses aigrettes étaient parsemées de roses naissantes, en accord avec le printemps timide de l'année qui tardait à venir. Eirin se rendit alors compte que ce n'était pas un puissant dieu, comme il semblait l'être avec une seule moitié de Masque. Il était plus petit que Non, semblait plus fragile avec ses roses et ses doux yeux incompris. Alors, la forêt, qui possédait Non, se mit à rire.

- Tu vois bien ! Je suis le véritable et unique maitre de cet objet, alors rends-le-moi.

Eirin ne comprenait pas, tout fragile qu'il semblait, frissonnant sur ses pattes. Non se jeta sur lui, cracha une nouvelle slave de flammes ardentes. Eirin tremblait de peur. Il se précipita sur un côté pour échapper au brasier, mais il ne fut pas assez rapide, et les plantes de sa queue commencèrent à se calciner. La forêt derrière lui commença elle aussi à flamber, atteinte par les étincelles. Il poussa un petit cri, se précipita vers l'eau, mais Non l'empêcha de l'atteindre. Désespéré, il voyait les roses se flétrir, les ronces se calciner, les feuillages se recroqueviller et tomber, inertes. Bientôt Eirin s'embrasa tout entier. Il criait, courait en tout sens, mais il ne voyait plus rien et Non le regardait avec un sourire mauvais. Alors, le dragon s'arrêta. Il n'avait pas mal, en fait. Les derniers morceaux de végétaux tombèrent au sol et il resta là, planté, sans comprendre. Une force intérieure aussi soudaine que dévastatrice s'empara de lui. Les plantes le gardaient prisonnier, gardaient sa puissance dans une cage. Il secoua le museau, menaçant, désormais. Il était peut être petit, il semblait peut être fragile, mais ses yeux luisaient désormais d'une lumière meurtrière. Il s'avança vers Non, grondant. Elle le trouva ridicule, ainsi, si petit. Alors, son cou eut un soubresaut. Une tête se leva lentement, se fixa sur son ennemi. Puis une autre tête. Une quatrième. Une cinquième. Une sixième. Une septième. Et une huitième.

C'était à peine un dragon.

Eirin avait grandit. Une sueur froide coulait le long du dos de Non. Eirin la saisit avec fureur à la gorge. Ses griffes étaient si longues qu'elles commencèrent à lui entailler le cou. Quelques gouttes de sang tombèrent. De ses yeux flamboyantes, Eirin la força à le regarder jusqu'à ce que son esprit cède sous la souffrance et le poids de cette volonté furieuse écrasante. Non s'affaissa. Ce n'était plus qu'un corps flasque. Eirin la transperçât pour le plaisir de voir son sang couler, puis il jeta son corps dans le brasier de la forêt d'Innocence qui continuait de se consumer. Alors il remarqua la silhouette immobile et baignée de sang, dans un coin, oubliée. Folia était méconnaissable. Eirin la prit délicatement - du moins ce qui restait d'elle - et la déposa dans la grotte dans laquelle iels se reposaient, autrefois. Il y eut un grondement sourd et Innocence se mit à trembler. Eirin serra les dents, avec fureur, il retira le Masque et le jeta au milieu des flammes qui dévoraient la forêt. Finalement, cet objet le répugnait. Cependant, il s'aperçut qu'il avait gardé sa forme. La forme qu'il avait eu en gardant l'artéfact. Il soupira.

- Qui porte le Masque en garde la trace.

Il se faufila malgré tout comme il le put dans la caverne et ses têtes se posèrent sur le sol, lasses. Lasses de toutes choses, lasses de la vie, lasses de la mort. Lasses de cette forme qui n'était pas la vraie forme de l'esprit qui l'habitait.

Le niveau de l'eau commença à monter, dangereusement. Innocence coulait. Innocence était en train de se faire submerger. Eirin resta immobile. Il attendait que la mort le fauche. Il l'avait bien mérité, à cause de tous ces royaumes qu'il avait incendiés. Il inspira une dernière fois, soupira. L'eau le submergea entièrement. Folia se changea en pierre. Pour Eirin, ce fut plus différent, il mourut lui aussi sur le coup, sans souffrances autres que les remords et les regrets. Son corps, je veux dire, son vrai corps, son corps originel, se transforma en pierre, et son esprit avec. Il se trouvait à l'intérieur du corps du Masque, qui lui se décomposa lentement, au fil des années. Il resta donc une ossature géante à l'intérieure de laquelle, un petit corps de pierre reposait, en fixant un autre, quelques mètres plus loin.

Innocence disparut, ses habitants, ses ressources, ses trésors, ses mystères. L'on raconte qu'elle se trouve toujours quelque part, dans l'océan face au Royaume de la Nuit.

N'allons pas oublier ce qu'il reste à expliquer. Non finit de brûler dans d'atroces souffrances et elle avait déjà rendu son dernier soupire quand la forêt finit par s'éteindre grâce à l'eau. Le Masque ? En se consumant, il laissa apparaitre sur ses restes un oeuf. Un oeuf brillant, parfait. L'on raconte que plus tard, un dragon trouva cet oeuf et le ramena à la surface, et qu'il s'ouvrit immédiatement, avec un dragonnet bien vivant en son sein. En fait, c'était une dragonnette et on la nomma Mystère. Mystère eut nombre de descendants et de descendantes et son sang unique finit par être dilué dans le sang Aile de Nuit. Ainsi vint Prudence et sa fille Fatale, et le fils de celle-ci, Spectral. Si Folia avait vu le destin de ce personnage, c'était parce qu'en lui et en lui seulement ressortirait l'immense pouvoir du Masque à jamais perdu. Un dernier vestige. Un dragon pas vraiment dragon. C'était à peine un dragon, d'ailleurs...

Le masque (LRDF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant