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Kevel
-An 768-

Le silence règne en maître dans ces lieux. Rien d'autre que cette absence lourde et pesante de son. Elle m'oppresse, me fait face et me frappe en plein visage. Assis seul dans une grande salle vide, la tête posée entre les mains. Il n'y a rien d'autre que mon trône et la douleur qui emplit mon cœur. J'ai ordonné à tous mes sujets de rentrer chez eux, de prier pour notre salut à tous. Mais je sais que rien n'y fera, c'est trop tard pour sauver ce qu'il me reste. J'attends patiemment, que des bruits de pas rompent mon repos pour m'annoncer la triste nouvelle.

Il est encore tôt, trop tôt et il me reste un simple moment de repos. Un instant suspendu dans l'air qui devrait devenir une éternité. Si le temps s'arrête maintenant, je n'aurais pas à revivre cela. Je n'aurais pas à expliquer pourquoi nous en sommes ici. J'ai vécu ceci trop de fois. Hors de question que je doive m'y soumettre à nouveau. Pourtant aucun doute, je suis à genoux, acculé face à une réalité atroce et si violente. Et c'était sa volonté, ce qu'elle voulait le plus au monde.

Je ferme les yeux, fronce les sourcils et laisse mon cerveau oublier ce qui nous attend tous. Dans un royaume parfait je n'aurais pas à subir cette chose. J'en rêve, je veux le voir se créer sous mes yeux. Je ne souhaite que cela. Guérir mon peuple et mes terres de cette malédiction. Il n'y a que ça qui compte et qui comptera pour toujours.

Soudain au loin, un cri. Un hurlement si profond et si puissant qu'il déchire le temps et le calme. Ma souveraine est en train de donner la vie. Sa souffrance se fait entendre dans tous les recoins de l'empire. À un rythme assez régulier, elle expulse sa peine en hurlant. Tout le monde l'entend, le perçoit et prie, joignant ses mains. Demandant à une force supérieure inconnue de nous venir en aide. Cinq cents ans que ce cirque dure, cinq cents ans que nous sommes bloqués entre ses griffes.

Puis plus rien, les gémissements cessent. Je peux me permettre de rouvrir les yeux, attendant un miracle. Le calme, la paix puis un petit soupir s'échappent de mes lèvres. Mon cerveau me joue des tours que je ne trouve pas drôle. Derrière les épais murs en pierre se cache désormais un trésor. Ce que j'ai de plus précieux et que je ne peux guère protéger. Je reste attentif, prends garde au moindre mouvement jusqu'à ce qu'une main probablement tremblante et faible toque sur l'immense porte en bois. Elle hésite, veut faire demi-tour mais voilà, aucune échappée possible.

Ma voix quant à elle n'est pas plus puissante et affirmée. J'aurais voulu prouver que je suis capable de gérer cette situation mais comme mes ancêtres je suis plus que démuni. Je lui ordonne de rentrer. Elle pousse la porte doucement puis dans un mouvement délicat et gracieux, fait sa révérence devant moi.

— Monseigneur, c'est un fils.

Ces quelques mots ne font que briser un peu plus ce qui bat au fond de ma poitrine. Je le savais, je le savais et pourtant j'ai laissé l'espoir prendre le dessus. Ce fut ma première erreur lorsque je suis monté sur le trône. Comme les autres j'ai cru pouvoir changer les choses mais j'en suis incapable, simple mortel que je suis. Et il est hors de question que je laisse un mage s'approcher de moi ou de ma cour. Vu ce qu'ils ont déjà fait, je préfère les voir brûler dans les flammes de la forêt d'Elyra que de les laisser remettre les pieds à Teivel.

— Tu peux disposer, vas rejoindre les tiens et tiens toi prête pour l'annonce.

Ramassant sa longue robe rapiécée de couleur marron et grise, elle courbe son dos deux ou trois fois pour me signifer son respect. Ensuite, elle prend grand soin de fermer la porte après son passage et sa déclaration dévastatrice. Il va falloir que je me décide, que j'y aille. Elle doit m'attendre dans ses appartements.

D'un geste lent et maladroit, je me mets droit sur mes pieds et inspire un grand coup pour ne pas défaillir. Prenant appui sur mon siège royal, je me lance et avance vers une petite entrée dérobée. C'est un escalier en colimaçon qui va me permettre de rejoindre les sous sols et une autre tour se trouvant à l'opposée de la grande salle. C'est là-bas que se situe la suite de la reine. Dans sa chambre et dans ses draps il y a un trésor que je vais devoir livrer à l'enfer de Teivel.

Amarante Où les histoires vivent. Découvrez maintenant