Amarante

5

Haimon

La fête bat son plein. Des gens dansent dans les jardins, entre les roses rouges et les lilas blancs. D'autres sont sur la terrasse, assis autour d'une table à écouter les histoires d'un troubadour ma foi fort étrange. Il chantonne avec sa lyre et charme les femmes qui tournent autour de lui. Ce spectacle m'amuse, ou du moins il me distrait un court instant, me faisant oublier pourquoi je suis ici. Le monde est en train de devenir fou. Une bien grosse réception qui passionne les foules. Tous nos sujets veulent être conviés dans ce palais. Mais seul une petite élite peut se le permettre. Les bourgeois, les riches, les proches de mes parents.

En parlant d'eux d'ailleurs, les souverains de Teivel sont sur leurs trônes. Ils n'ont pas bougé depuis notre arrivée. C'est leurs rôles. Ce n'est pas un gala organisé en leurs honneurs. Mais bien pour mon anniversaire. Il me faut rester digne, à ma place. Je meurs d'envie d'aller me promener, de m'enfuir avec ma jument mais si je le fais, on va me taper sur les doigts. J'inspire un grand coup et reporte mon attention sur un groupe de jeunes filles qui bavardent dans un coin de la pièce.

Leur discussion semble bien animée. Elles regardent leurs bras en permanence, rigolant avec force. Je sais ce qu'elles attendent et je suis dans le même état. Sans savoir à quelle heure cela va se produire, je sens l'angoisse monter un peu plus. Mon cœur bat à un rythme irrégulier. Lorsque j'entends des cris, des hurlements, je sursaute et souffle avant de comprendre que ce ne sont que des jeux et pas la prophétie en train de se réaliser. Nous ne savons jamais quand c'est le moment. Le signe peut arriver n'importe quand dans la nuit. C'est pour cela que les invités sont tendus comme nous.

Je jette un coup d'œil à mon père qui resserre son emprise sur les accoudoirs de son siège. La nuit est noire dehors, je ne peux apercevoir que la lune à travers une petite fenêtre. Elle brille de mille feux et me cache toutes les étoiles. Perdu dans mon propre esprit, je ne réponds pas les deux premières fois que ma mère m'appelle. Ce n'est que quand sa main rencontre la mienne que je percute qu'elle souhaite me parler. Une sensation désagréable, comme une décharge électrique, se dégage de ce contact.

— C'est probablement pour bientôt Haimon. Elle marque un temps de pause, se redresse sur sa chaise avant de soupirer. C'est vers cette heure-ci que j'ai reçu la mienne.

Sa voix se brise lorsqu'elle termine. Ses yeux se couvrent d'un voile de ce que j'identifie comme de la nostalgie. Elle doit repenser au passé. C'est la seule chose qu'ils nous restent dans la famille. Les souvenirs lointains d'une vie bien trop courte. Je repense à ce que j'ai entendu de la jeunesse de mon père. Les peintures et portraits de lui qui recouvrent les murs des couloirs le décrivent comme un jeune prince fier, dynamique et fort. Aujourd'hui il est une ombre.

Je hoche la tête pour signifier à ma mère la reine que je comprends parfaitement ce qu'elle veut me dire. Je sens mon cœur battre de plus en plus fort chaque bruit de pas, à chaque fois que quelqu'un ouvre ou ferme une porte. Est-ce de la peur ou bien de l'espoir qui s'enfuit de mon corps ? Je ne le sais guère. La salive a du mal à descendre dans ma gorge. Je manque de temps, je voudrais partir, renoncer à ceci, à ce royaume. Mais si je le fais, je condamne des centaines de citoyens à la famine, à la guerre et à la mort.

Cependant les petites cellules de mon cerveau gigotent dans tous les sens. L'une d'entre elles m'interpellent. Elle a l'image d'une bien belle demoiselle. Une femme dont j'ai croisé le regard il y a un instant. Sa robe d'une couleur si singulière et si chatoyante a occulté toutes les autres. Je n'en ai que faire de ces dames qui pensent me séduire avec des manières étranges et ostentatoires. Seigneur, j'ai cru que mes jambes allaient céder quand je marchais dans la salle. Je m'attendais bien évidemment à la voir ici mais pas aussi belle.