Amarante

3

Kasdeya

L'obscurité hante les rues et les chemins de boue de mon quartier. La nuit est en train de tomber peu à peu. De grandes ombres couvrent les maisons et les jardins des pauvres paysans qui partagent mon espace vital. En cette période de l'année, les nuages couvrent les étoiles et les rendent invisibles aux yeux des humains. Seule dans le ciel brille la lune. Pleine et ronde, elle prend toute la place et illumine cette triste soirée. Unique source de lumière, je l'observe attentivement et détaille ses rayons qui frappent les passants qui marchent sous ma fenêtre.

Une sensation étrange me sort de cet état. De mon poignet coule une petite quantité de sang. Sans trop savoir depuis quand c'est le cas, j'entends les gouttes atterrir sur le sol et le tâcher pour de bon. Tant pis les domestiques devront nettoyer ça en plus de la salle des sorts. Un peu plus de travail pour ces pauvres gens. Une autre chose attire mon attention. Les autres gens du peuple courent, se précipitent et sortent de leurs maisons pour rejoindre le palais. Leurs tenues sont plus stupides les unes que les autres. De longues robes pleines de couleurs et de tissus d'or trouvées dans les poubelles du château.

Tiens, j'avais presque oublié. C'est aujourd'hui. Jour maudit de Teivel. Bon dieu que c'est ennuyant, je pensais pouvoir me reposer ce soir et dormir après mon rituel mais visiblement je vais devoir sortir moi aussi. Un véritable enfer, je n'aime pas ce genre de cérémonie. Tant pis, je ne ferai qu'acte de présence.

Avec la manche de manteau, j'essuie la cicatrice sur mon bras et ferme les yeux pour visualiser ma magie. Ce n'est qu'une petite plaie. Rien de bien compliqué à guérir. Un peu de magie et le tour est joué. Plus de sang sur ma peau légèrement halée. Pas même une trace de blessure. Un sourire se dessine sur mon visage alors que quelqu'un entre dans ma chambre. J'espère que ce n'est pas une de mes servantes. Je ne supporterais pas que l'on me dérange maintenant.

— Kasdeya, je te prie de te préparer. Nous partons pour le couronnement avec ton père. Tu dois nous rejoindre pour saluer le roi.

La voix de ma douce mère sans aucun doute. Elle est froide comme toujours. Sans entrer entièrement dans la pièce, elle reste près de la porte et de la poignée. A mon avis, elle vient de finir son offrande elle aussi. Une vieille tradition de famille. Cependant une question me traverse l'esprit. Je dois lui demander avant qu'elle ne parte. C'est primordial.

— Mère, entamé-je d'une voix presque inaudible. Pourquoi sommes-nous contraints d'y aller ? Nous ne les aimons pas, ces stupides rois de pacotilles. Le sang des nôtres sur leur sol couvert de marbre, les guerres et les massacres c'est leurs fautes. Ancêtres et rois détestables.

Elle soupire et depuis longtemps, je la sens avancer dans cet espace pour s'asseoir sur mon lit. Quittant des yeux cette sublime vision de la rue sombre, je pose mes pupilles sur cette femme. Ses longs cheveux noirs, que j'ai hérité d'elle, sont pour une fois attachés dans un haut chignon. Quelques boucles tombent sur son visage marqué par l'âge et la vie. Son nez en trompette et ses pommettes rosées contrastent avec sa mâchoire tracée et tranchante. Elle, Yvanna, porte une robe à col roulé bleu marine qui recouvre tout son corps. Digne d'une grande fête.

— Kasdeya, je les hais autant que toi. Mais comment comptes-tu te rebeller et les détruire ? Je ne connais qu'un plan et qu'une réponse à cette question. Nous devons être le plus proche d'eux possible. Je suis amie avec la reine, elle a confiance en moi. Et un jour, sans qu'elle ne se doute de rien, c'est à mon tour que je planterai une dague dans son dos.

Certes, elle veut employer cette stratégie. Sa force mentale m'impressionne, je serais incapable de tenir sa position durant tant d'années. Amie de la souveraine et de ses dames de compagnie, elle passe ses journées dans les jardins à lui parler. Je n'imagine pas de quoi elles parlent entre elles. Peut-être de la façon dont ils brûlent les sorciers pour les tuer. Ou alors de ces artéfacts stupides qu'ils utilisent pour nous contrer.