Le soleil commençait déjà à éclairer l'intérieur de la hutte en bois. Tamy soupira en ouvrant lentement les yeux. Elle observa autour d'elle et aperçut son père qui ronflait comme un bienheureux. Il devait encore avoir bu plus qu'il ne le devait, hier soir. Plus loin, ses trois jeunes frères, Jules, Antonin et Samir, étaient encore endormis.
Si Tamy vivait encore dans cette maison, c'était sans aucun doute grâce à eux. Mais cela n'avait pas été facile de les accepter à leur naissance. Ils étaient nés en même temps, et c'est ce qui avait tué leur mère, 11 ans plus tôt. Tamy avait alors faillit les abandonner, mais la seule pensée de devoir les laisser seuls avec un père comme le leur lui avait fait changer d'avis très vite. Elle les avaient alors élevée seule, tout en travaillant dur dans les fermes des alentours pour pouvoir se procurer du lait et des aliments de base. Heureusement, la voisine, la Vieille Sue avait accepté de gardé les petits à la seule condition que, lorsqu'ils seraient plus grands, ils viendraient travailler chez elle. Mais la Vieille Sue était décédée l'an dernier, et Tamy n'avait pas pu payer sa dette. Elle s'était alors chargée de lui organiser des funérailles digne de ce nom, ce qui était rare, dans ce quartier de Bakori. Cette ville portuaire était la plus importante du Nord-est. Ses lotissements et le centre ville faisaient partie des plus beaux endroits de toute l'île de Valak. Les maisons étaient des palaces, les jardins des parcs. Mais l'endroit préférée de Tamy était le port. Tous les jours, des bateaux arrivaient de partout. Les voiles blanches claquaient au vent, les mâts se dressaient majestueusement au-dessus des ponts et des coques. Dès son plus jeune âge, la jeune fille était fascinée par la mer, le voyage et l'aventure. Elle adorait les histoires de pirates que lui racontait Sue, et rêvait de les rencontrer. Elle avait aperçu des voiles noires qu'une seule fois dans sa vie. De sa maison, elle apercevait en effet l'Autre Port, comme on l'appelait ici. C'était un des endroits les plus mal famé de la ville. Seuls les commerçants douteux vendaient leurs marchandises là-bas en concluant des affaires suspiscieuses. Et une seule fois, des pirates avaient débarqué. Tamy avait alors rêvé de les rejoindre, mais elle était trop jeune, et il y avait ses frères.
D'ailleurs, ces derniers étaient en train de s'éveiller. Tamy sourit en voyant Samir se frotter les yeux encore remplis de sommeil. Elle se leva et les rejoignit.
-Bonjour vous trois! Je vais au marché chercher de quoi manger. Qui veut venir avec moi ?Cette question était presque un rituel entre eux. Chaque matin, Tamy faisait le tour des étales et, à l'aide de l'argent gagné la veille, elle faisait ses emplettes avec l'un de ses frères. Les deux autres devaient rester à la maison et essayer de surveiller leur père autant que possible, car l'adolescente ne voulais pas le laisser seul à la maison. Elle avait au départ eu peur de les savoir sans défense si il se réveillait, mais après l'expérience désastreuse où elle avait laissé aller Antonin, Samir et Jules seuls au marché, ils avaient décidé de s'entraîner pour apprendre à se battre. Pour cela, la rue était le meilleur endroit et ses habitants, les meilleurs professeurs!
Ils avaient établit un roulement, cette question était tout simplement devenue une habitude rassurante. Aujourd'hui, c'était le tour de Samir. Des trois frères, il était le plus petit et le plus frêle et nombre de fois, il les avaient fait trembler de peur à cause de ses maladies interminables. Mais son agilité compensait son manque de force, et il était capable de semer n'importe qui à la course.
Tamy récupéra le sac qu'elle avait tressé et ils s'en allèrent. Dehors, bien qu'il soit encore très tôt, le soleil brillait dans le ciel, annonçant une journée chaude et lumineuse. Lorsqu'ils arrivèrent sur la place, elle était presque vide. Seuls quelques stands se dressaient ici et là. Ils allèrent tout d'abord chercher le poisson, fraîchement pêché.
-Salut Golbak! Salua Tamy
Golbak était le plus vieux pêcheur du marché. Il portait ce surnom depuis longtemps, mais personne ne savait pourquoi, ni quel était son vrai nom.
-Bonjour demoiselle! Comme d'habitude? Lui glissa t-il avec un clin d'oeil tout en lui tendant ses produits. Tamy le remercia et paya avant de s'en aller. Pendant ce temps, Samir avait récupéré le pain et ils se rejoignirent au niveau de l'épicerie avant de se diriger vers la forêt. Elle se situait à l'extérieur de la ville, à une demi-heure de marche de la hutte. Les arbres étaient grands, immenses pour certains. D'après les anciens du quartier, ils avaient plus de 1000 ans et étaient directement liés à la vie des habitants. Dans les branches, Samir avait installé des réservoirs afin de récupérer la rosée du matin et l'eau de pluie. Ce dernier récupéra l'eau dans son récipient pendant que sa soeur contrôlait les pièges.
-Rien, soupira-t-elle. Il faut que tu ailles chercher tes frères pour chasser!
-Je vais devoir rester seul avec Papa? S'inquièta le garçon
-Écoute... Ne t'en fait pas, d'accord? Nous serons de retour dans une heure!
Les deux enfants s'etreignirent, puis Samir s'en alla en courant. Tamy commença sa traque. Elle avait caché un arc dans la végétation dense de la forêt, au cas où les pièges ne suffisaient pas à subvenir aux besoins de la famille. Après une demi-heure de recherche, elle n'avait toujours rien trouvé et commençait à désespérer, quand elle entendit des personnes arriver.
-Enfin! Pensa-t-elle en croyant que ses frères étaient arrivés pour lui prêter main forte. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle aperçu son père et ses trois frères!
-Papa? Mais... Qu'est-ce que tu fais là?
-Eh bien, soupira-t-il, je me suis rendu compte que... qu'aujourd'hui ma fille va avoir 15ans... et... et que je ne la connais presque pas!
Il commença à sangloter
-Oh, Papa, ne t'inquiète...
Mais une fois lancé, il ne s'arrêtait plus. Ce n'était pas la première qu'il éprouvait des remords, mais jamais encore il n'avait pleuré en étant sobre.
-Vous quatre, vous vous êtes occupés de moi alors que c'était mon rôle, je suis soule tous les soirs, je, je... Ah, votre mère serait fière de vous, mais pas de moi, ça non, ça, non...
Tamy sentit les larmes venir, mais se força à les contenir. Pour une fois que son père semblait être dans un état normal, elle n'allait pas gaspiller son temps à pleurnicher et à avoir des regrets.
-Écoute Papa! Ce qui est fait est fait! Oui, j'ai 15ans aujourd'hui, oui, tous les quatre nous nous occupons de la maison, mais regarde! Nous sommes en vie, personne n'est malade ou mourant! Alors arrête de pleurer, et essayons de rattraper le temps perdu, d'accord?A partir de ce moment, le père commença à moins boire et à se consacrer à ses enfants. Les triplés étaient ravis, mais Tamy commençait à se sentir oppressé. Elle qui était devenue comme une mère pour les garçons était brusquement renvoyée à la place de grande soeur.
C'est alors qu'un jour, les voiles noires réapparurent à l'Autre Port...