Chapitre 4

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Le monde qui l'entourait était ténèbres. C'était comme une nuit qui la recouvrait. C'était ça. Un linceul de ténèbres. Puis il y eut des sons. Indistincts, brouillés. Une douleur sourde prenait naissance dans sa tête. Soudain, ce fût comme si quelqu'un avait crié juste un côté d'elle.

Tamy se redressa d'un coup, reprenant son souffle à grandes inspirations. Une femme appuya sur ses épaules pour la ralonger.
-Doucement, dit Yrina, le remède n'a pas tout à fait agit.
-Que... Que s'est-il passé? S'exclama Tamy
-Tu es tombée dans les profondeurs glacées de l'ocean. Heureusement, Natanaël a réussi à t'arracher des flots... Pourquoi me regardes tu de cette manière?
-Euh...
Tamy avait été surprise par l'étrange façon de parler de la vieille dame et par sa façon d'appeler le capitaine simplement Natanaël, mais des cris venant de l'extérieur lui enleva la délicate tâche de répondre. Une porte s'ouvrit et le capitaine entra.
-Yrina, j'aurai besoin de vous sur le pont!
Yrina se leva lentement et s'adressa à Tamy.
-Restes allongée pour le moment, tu es restée inconsciente quelques heures!
-Profites-en pour te reposer, fit le capitaine, un brin moqueur, comme tu as réussi à échapper à ta première journée, il faudra bien que tu te rattrapes!
La jeune fille ouvrit la bouche pour répondre, mais Natanaël, sur un clin d'oeil, était déjà sorti à la suite d'Yrina. Déjà épuisée, Tamy se rendormit.

Elle se réveilla en bien meilleure forme, mais elle ne sentait pas encore capable de se lever. La jeune fille entreprit alors d'observer la pièce dans laquelle elle se trouvait. C'était sans aucun doute la cabine du Capitaine. Son lit était situé à gauche de la porte, ce qui lui permettait d'observer toute la pièce d'un seul regard. Grande, elle donnait l'impression que tout était en bois: la grande table au milieu, où un amoncellement inimaginable de cartes semblait se moquer des lois de la pesanteur, le fauteuil à bascule près de la fenêtre, le plafond, le sol, les poutres sur lesquelles un hamac était suspendu, le grand lit au fond appuyé contre le mur,... À ses côtés se trouvaient d'autres lits semblables au siens, sans doute prévu pour d'autres malades. Il y avait aussi quelques étagères ça et là, où l'on avait déposé des plumes, de l'encre, des fioles,... Et un grand nombre de bouteilles de rhum! Ses observations furent interrompues par l'arrivée d'Yrina.
-Ah! Te voilà enfin réveillée!
Elle sortit un flacon de sa poche et le tendit à Tamy.
-Vide le entièrement! Il te fera dormir jusqu'à demain matin, et tu pourras enfin commencer ta vie de matelot!
Tamy la remercia en souriant, vida le liquide qui avait un goût atroce. Elle s'enfonça immédiatement dans les ténèbres.

Elle fut réveillée au milieu de la nuit par des bruits étranges. C'était comme si quelqu'un gémissait, tout près d'elle. Mais elle eu beau fouiller l'obscurité de la cabine, elle ne remarqua rien d'étrange, hormis le fait qu'elle était seule.

Le lendemain matin, la jeune fille se leva en pleine forme! Exceptée quelques courbatures, les bons soins d'Yrina avaient fait des miracles! Les événements mystérieux de la nuit n'étaient que de simples souvenirs, et Tamy était certaine d'avoir rêvée! Alors qu'elle effectuait quelques étirements, la porte s'ouvrit en grand pour laisser passer le Capitaine.
-Allez allez! Les vacances sont terminées, sur le pont!
-À vos ordres, Capitaine!
Il était difficile de prononcer cette phrase avec plus d'ironie, ce qui fît sourire le Capitaine:
-Attention! Ce matin, tu essaies de trouver ta place et ce soir, tu seras de garde! Cela fait trois jours que tu es là, il serait temps qu'on te voit à l'oeuvre!
-Trois jours? S'exclama Tamy
-Eh oui! Yrina a... comment dire, quelques soucis pour se repérer dans le temps. Mais trêves de bavardage! Suis-moi!

Tamy n'eût guère le temps de s'interroger d'avantage sur ces paroles étranges. Toute la matinée, elle dût s'atteler à tous les métiers possibles sur un navire. Le Capitaine Natanaël l'envoya tout d'abord aider Joe aux cuisines. Offusquée par tant de préjugés, Tamy oublia de surveiller le feu et failli réduire le Briseur d'écume en cendres, sous les éclats de rire de Gauthier et de Joe, et le regard affligé du Capitaine. Elle descendit ensuite au fond de la cale, où elle avait comme mission de ranger, vérifier les stocks,... Natanaël jugea assez rapidement que ce travail n'était pas pour elle lorsqu'elle failli disparaître sous une pile de caisses.
-Mais comment vivais tu avant?
-Et bien, j'étais un peu plus attentive pour le feu, je n'avais pas à ranger des caisses dans un endroit où tout tangue, je...
-Très bien, j'ai compris! As-tu le vertige?
-Euh non, je ne...
-Alors suis-moi!
Et c'est ainsi que Tamy découvrit le travail dans les voiles. Il fallait surveiller le vent, contrôler les voiles, monter dans les haubans, redescendre,... Elle exultait! Elle adorait la hauteur, elle frémissait à la caresse du vent et, au soir, elle avait compris comment gérer la voilure.
-Bon boulot! Fit le Capitaine, j'ai failli désespérer mais finalement, les voiles te correspondent très bien!
-Merci! Lui répondit Tamy, rayonnante.
-J'espère que tu n'es pas trop fatiguée, car ta garde commence maintenant! Gauthier restera avec toi. Vous êtes neufs, alors deux paires d'yeux verront mieux qu'une seule! Va le chercher, il est allé se reposer, et montez! Je veux un rapport demain matin!
Tamy descendit et trouva Gauthier endormi. Elle le réveilla rapidement (eh oui! un hamac, ça se retourne), récupéra son cahier et sa plume, et se précipita à la vigie, son ami la suivant en traînant des pieds. Mais le coucher de soleil qu'ils aperçurent du haut du mât lui redonna de l'énergie. Alors que les étoiles commençaient à scintiller doucement, Tamy traça le titre de l'histoire qu'elle allait écrire. Son histoire.
Histoire d'ailleurs.
Une histoire.
Plusieurs ailleurs.

-Tu dors?
-Comment pourrais-tu dormir alors que le spectacle est tellement splendide, Gauthier?
-Je ne sais pas, Tamy, je ne sais vraiment pas!

Alors que la nuit était bien avancée, et que tout était calme et silence, Tamy se sentait en paix avec le monde. Elle avait essayé d'écrire tout ce qu'elle ressentait, mais elle s'était vite rendue compte qu'elle ne maîtrisait pas assez bien l'écriture. Bah, avait-elle pensé, ça viendra déjà. Elle s'était donc abandonnée à l'océan, au reflet scintillant de la voûte céleste sur l'eau en mouvement. On ne pouvait discerner le ciel et la mer. La frontière entre le réel et l'irréel était si mince!

Au petit matin, le lever de soleil fût à nouveau magnifique.
-Dis, tu penses qu'on peut se lasser de ce spectacle un jour?
Gauthier pris le temps d'observer les marins sur le pont qui avaient eux aussi leur regard fixé sur l'horizon.
-Non, je ne crois pas!
Alors que le soleil commençait lentement à s'arracher des flots, Tamy se leva et se tourna vers son ami.
-Allez moussaillon! Je suis sûr que le Capitaine se contentera d'un seul bon rapport!
Sur ces paroles, elle s'élança dans le vide avant de se rattraper d'extrême justesse. Elle avait déjà dévalé la moitié de la trentaine de mètres qui la séparait du pont lorsqu'elle daigna lever la tête pour adresser son plus beau sourire à Gauthier, qui n'avait toujours pas bougé! Mais cette provocation eût l'effet d'un coup de fouet sur le jeune homme, qui s'élança à la suite de son amie en riant aux éclats, bien qu'il n'ait strictement aucune chance! En effet, il ne passait pas ses journées dans les voiles, mais sur le pont, où il devait tantôt ramer, tantôt ranger, tantôt aider à tendre les voiles. Mais il aimait son travail, plus physique que précis! En arrivant en bas, il constata que Tamy parlait déjà au Capitaine Natanaël. Il les rejoignit tranquillement, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

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