chapitre 1 : Une saison pour le sang

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1912
« Aïe! »
Tu soupires pendant que le papier fait une petite coupure sur ton doigt. Tu fais la moue et regardes quelques gouttes de ton sang suintés.
« Ida, je t'ai dit de ne pas déchirer l'emballage comme ça », ta mère te gronde doucement. Elle prend quelque chose dans les plis de sa robe et appuie un mouchoir noir contre la coupure. «Je ne veux pas que du sang tombe sur la nappe, je viens de la laver. »

Tu enroules le tissu autour de ton doigt avant de revenir à la première et principale chose qui te trottes dans la tête : l'ouverture de ton cadeau de Noël.

Depuis le gramophone sur la table basse, tu peux entendre la mélodie familière de Ave Maria. Ta sœur la fredonne depuis quelque temps. Sur le siège à côté de toi, elle admire la collection d'ornements qu'elle a reçue de tes parents.

Tu déchires le dernier papier et es accueilli par la vue d'un livre. Tu t'arrêtes et essayes de ne pas montrer la déception sur ton visage. Tu n'as jamais aimé la lecture et tu as appris récemment à le faire.

La couverture est une photo de Boucles d'Or et des Trois Ours.

« Merci », murmures-tu docilement, mais ta bouche menace de tourner à l'envers en une moue; ton père te fait un regard au-dessus de son journal.

« Je sais que tu voulais un ensemble de trains de jouets, mais on ne pouvait tout simplement pas se le permettre cette année. Tu sais qu'on a dû donner à tante Helen la plupart de nos économies. »

Tante Helen, après avoir perdu son mari à cause de la variole, n'est revenue en Amérique que depuis cette année, et le bateau sur lequel elle était a coulé avec tous ses biens. C'était une grosse affaire, tu te souviens que tous les journaux en parlaient pendant longtemps. Tu ne comprenais pas grand-chose à ce qui se passait, mais beaucoup de gens ont perdu la vie.

Tu sais que tu devrais juste remercier le Seigneur que ta tante en soit sorti vivante, mais tu ressens toujours une douleur enfantine d'amertume. Pourquoi as-tu besoin de renoncer à tes cadeau de Noël pour elle? Tu as amélioré toutes tes notes et tu es arrivée à entrer dans l'équipe de gymnastique féminine. Tes parents t'ont promis le train si tu faisais mieux à l'école, c'est ce qu'ils t'ont dit l'année dernière.

Le silence se fait ressentir sur la table du petit-déjeuner. À l'extérieur, tu peux entendre les oiseaux dans le quartier. Mr Stevenson est encore saoul et crie Carol des Cloches alors qu'il marche sur le trottoir. Le bruit de la neige écrasante sous ses pieds est entièrement audible depuis ta cuisine.

Ta sœur, cinq ans de plus que toi, récemment âgée de quatorze ans, est évidemment toujours en mission de maigir. Elle laisse la moitié de ses flocons d'avoine non consommés et saute pour occuper les toilettes avant que ta mère puisse se plaindre. Elle commence à se préparer pour sortir avec certains de ses amis de la chorale. Ils ont l'intention d'aller chanter des chants de Noël dans le quartier.
Tu restes calme et regardes le livre de contes de fées.
« Papa, peux-tu au moins m'emmener tirer ? »
Ton père te regarde longuement et à la vue de ton visage suppliant, son visage se fond dans un sourire espiègle. Ses lèvres fines se tournent vers le haut, et il caresse les poils grossiers de sa moustache avec son pouce et son index.
« Tu sais que je ne peux pas te dire non quand tu me fais ce visage », rit-il. Ta mère, qui est debout près d'un seau d'eau rinçant le pot de flocons d'avoine, s'arrête pour lui donner un regard de désapprouvement.

« Will, je n'aime pas que tu la laisses tirer avec ton revolver. Elle est déjà un garçon manqué, on n'a pas besoin d'elle pour tirer une arme par-dessus tout. »

« Tu abuses, Ruth. Le monde change et tôt ou tard, les filles devront apprendre à se débrouiller seules. L'autre jour, elle a frappé un taureau à 20mètres de là », annonce-t-il fièrement, et ton visage s'illumine à la louange.

77 gunshotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant