Epilogue

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Adam était allongé sur le dos, en travers de son sommier. Ses talons dépassaient dans le vide. Ses yeux suivaient, sans vraiment les voir, les allers et venus de ses deux poissons dans leur aquarium. C'était un couple de scalaires, qu'il avait nommé Colin et Chloé en référence aux personnages de L'Ecume des jours de Boris Vian. Parce qu'en lisant ce roman, il avait trouvé qu'il était un peu comme Colin, et qu'Agathe était un peu sa Chloé.

Le soleil s'engouffrait par la fenêtre grande ouverte de sa chambre et répandait agréablement sa chaleur et sa lumière sur sa peau. De temps à autres, une petite brise s'infiltrait également entre les deux battants, venant soulever le léger tissu de ses rideaux et rafraîchir son visage.

L'agitation de la ville, quelques étages plus bas, n'était qu'un lointain murmure à ses oreilles. Toute son attention était focalisée sur la voix d'Agathe. Elle était assise à même le sol, sur son tapis. Sa tête reposait sur le matelas, à droite de la sienne. Elle tenait entre ses doigts une liasse de feuilles à petits carreaux, recouverte d'une fine écriture, avec une élégante inclinaison italique. Il y avait par endroits quelques ratures et des ajouts, inscrits en minuscule entre deux lignes.

Agathe lisait, page après page, avec une intonation calme et posée. Adam percevait parfois un petit tremolo dans sa voix, lui indiquant qu'elle n'avait pas cette aisance, cette assurance, qu'elle possédait lorsqu'elle lui faisait habituellement la lecture. Agathe était un brin stressée et Adam comprenait pourquoi. C'était un texte qu'elle avait elle-même écrit, une nouvelle, et c'était la toute première fois qu'elle lui partageait ses propres mots. L'histoire était encore un peu bancale mais somme toute prometteuse. La brunette avait une plume fluide et poétique, nourrie par les milliers de récits qu'elle avait lu et enrichie par les milliers de style d'écriture des auteurs qu'elle avait étudié.

Elle prononça la dernière phrase avec une lenteur qui se détachait du reste de son récit, marquant à la fois la chute et le point final. Puis, elle rabaissa ses bras, laissant choir les feuilles sur ses jambes tendues.

- « Alors ? » - articula-t-elle, avec une pointe d'appréhension.

Adam se retourna à plat ventre sur le lit et posa son menton au croisement de ses poignets. Il inclina son visage, tout prêt des cheveux d'Agathe et de leur doux parfum d'amande et de karité. Il tendit une main vers elle et dégagea derrière son oreille quelques mèches qui retombaient sur sa joue.

- « Je t'aime. – avoua-t-il, de but en blanc, avec la banalité d'une formule de politesse. – Je te l'ai déjà laissé entendre avec les mots d'Haenel, de Goethe, de De Musset... Mais encore jamais je ne te l'avais dit avec les miens. Ton histoire était très belle, soit dit en passant. »

Agathe tourna brusquement son visage vers lui, dès qu'il eut prononcé ses trois premiers mots. Adam lisait le trouble dans ses yeux et voyait qu'elle avait toutes les peines du monde à le contenir. Le rouge lui monta aux joues comme sur un thermomètre à mercure.

- « Très belle ? Tu parles d'une critique constructive... » - balbutia-t-elle en fuyant aussitôt son regard.

Ses doigts s'accrochèrent aux poils du tapis. Elle avait envie de lui répondre, elle en avait terriblement envie, de tout son être. Mais, elle s'en sentait incapable. Elle sentait qu'il lui manquait de courage. Le dire à voix haute, c'était se livrer corps et âme à l'autre. Elle ouvrit et referma plusieurs fois la bouche, ne parvenant pas à articuler plus que la première syllabe.

- « Je... Je...

- Ne te sens pas obligée de répondre. – voulut la rassurer Adam. – Ou alors, fais-le à ta manière. »

Il vit une étincelle traverser son regard. Elle se leva, éparpillant au passage les feuilles qui reposaient sur ses genoux. Elle se félicita un court instant d'avoir pensé à numéroter les pages. Puis, elle se dirigea vers le bureau d'Adam. Elle ouvrit un vieux cahier et déchira le coin d'une page vierge. Elle prit un feutre dans son pot à crayons et y inscrivit quelques mots à la hâte. Adam lui avait dit qu'il l'aimait de manière aussi frontale, parce que c'était sa façon de faire. Il ne passait pas par quatre chemins quand il voulait exprimer ce qu'il ressentait. Agathe était, quant à elle, plus timorée sur ses sentiments.

Elle revint vers le lit et prit la main d'Adam pour fourrer le morceau de papier au creux de sa paume. Puis, elle plaqua ses lèvres sur les siennes, pour l'empêcher de parler et pour faire disparaître le sourire triomphant qui illuminait son visage. Adam encercla les épaules d'Agathe de son bras et leva la main pour lire le bout de papier par-dessus son épaule.

« Moi aussi. Idiot. »

Et Tout Faire ValserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant