Une semaine plus tard, Adam ne pensait plus du tout à elle. Parfois la nuit, il la voyait glisser dans ses rêves, mais c'était tout. Au petit matin, elle était déjà redevenue un lointain souvenir. Il ne se rappelait plus la sensation de l'air bloqué dans ses poumons, ni de son cœur qui avait perdu le rythme. Adam venait de finir les cours et s'apprêtait à rentrer chez lui. Il faisait encore un peu frais, en ce début de printemps. Il enfonça sa capuche sur son front et ses mains dans les poches de sa veste, tout en passant la grande porte en bois qui marquait la sortie de son lycée. Il ne fit pas trois pas que Venetia, l'une de ses plus proches amies, l'attrapa par la hanse de son sac à dos afin de le tirer en arrière.
- « Je peux savoir où tu vas comme ça ? Tu avais promis que tu m'accompagnerais à la librairie après les cours. »
Le garçon soupira, pensant réussir à éviter ce calvaire. Il n'aimait pas lire, alors l'idée d'entrer dans une boutique remplie de bouquins ne l'enthousiasmait que très peu. Adam détestait la sensation de sentir son monde lui échapper, de vivre la vie d'un autre. Il voulait être lui. Les histoires n'étaient pour lui que des fantasmes, des mensonges. Son père l'avait inscrit depuis tout petit à des cours de boxe. Il voulait faire de lui un homme, un battant et surtout un gagnant. Il ne lui lisait jamais d'histoires avant de s'endormir, ne le berçait jamais en lui parlant des étoiles. Seules la victoire et les bonnes notes comptaient, il n'y avait jamais eu de place pour les contes de fée. Et le petit Adam avait toujours écouté son père, car il voulait qu'il soit fier de lui.
Son amie lui fit la moue et il finit par accepter à contre cœur, ne pouvant rien lui refuser. Il traîna des pieds tout le long du trajet. Venetia, qui faisait à elle seule la conversation, l'amena dans un coin de la ville qu'il n'avait jamais visité. Perdue, au milieu de ruelles étroites, émergeait une petite place. En son centre, trônait un gigantesque platane, qui filtrait de ses longues branches les rayons du soleil. Ses racines creusaient des sillons dans le goudron. Le lieu était tout bonnement magique ; l'ombre des feuilles traçait sur le sol des formes mouvantes de lumière. On entendait bien plus le chant des oiseaux dans l'arbre que les voitures dans le boulevard d'à côté. Adam contempla longuement l'endroit, tandis que son amie se dirigeait vers un bâtiment de l'autre côté de la place. C'était une vieille boutique. La peinture bleue de la façade s'effritait. Un pied de glycine courrait le long de la gouttière, ses fleurs mauves s'épanouissant par-dessus l'insigne en lettres dorées. Devant, un petit banc accueillait un lecteur pressé de commencer sa nouvelle acquisition et un petit étalage de bandes dessinées. On pouvait voir des piles de bouquins entreposées à l'intérieur à travers les grandes vitres. Une clochette tinta lorsque Venetia poussa la porte d'entrée. Adam fit tournoyer un présentoir de cartes postales. Les murs étaient couverts d'étagères, débordantes de livres en tout genre jusqu'au plafond. D'autres étaient empilés à même le sol.
- « Je peux vous aider ? »
Adam découvrit une jeune fille de son âge assise derrière le comptoir. Elle se balançait sur son tabouret, le dos appuyé contre le mur derrière elle. Un livre ouvert reposé sur ses jambes nues. Elle avait de longs cheveux bruns qui glissaient sur ses épaules couvertes d'un fin gilet en laine. Elle plaça un marque-page à l'intérieur de son bouquin et le posa sur le meuble en bois. Elle les observa de ses grands yeux verts, attendant une réponse de leur part. Veni lui demanda s'ils avaient en magasin un exemplaire de Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier. Elle lui répondit par un simple hochement de tête et partit sûr d'elle vers le fond du magasin. Adam la suivit du regard. Il avait cette étrange impression de la connaître, comme un vieux fantôme du passé. Il l'observa grimper agilement à une échelle, dans sa petite robe blanche. Elle se pencha gracieusement sur le côté pour attraper un bouquin, balançant sa jambe de l'autre côté pour tenir en équilibre, et redescendit en un éclair.
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Et Tout Faire Valser
RomanceLeur rencontre fut le fruit d'un grand hasard. Autrement, jamais Adam n'aurait mis de lui-même les pieds dans la librairie du père d'Agathe. Et c'est ce grand hasard, cette simple rencontre qui fera tout valser. Valser leurs relations, valser leurs...