Chapitre 1 - Duvet de Foudre

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  Duvet de Foudre prit une longue inspiration. Ses poumons s'emplirent de l'air frais matinal. Comme une rivière serpentant entre les montagnes, il s'écoula au travers de son corps, vivifia ses muscles, éveilla ses pensées engourdies.
Le monde autour de lui se révéla par une affluence de bruits sourds; des mouvements, des craquements, des bruissements d'humus. Le bourdonnement vif d'un insecte qui volait près de son oreille. Les chuchotements de la pouponnière aux vieilles branches enchevêtrées. Le souffle lourd des reines endormies, blotties dans leur nid de mousse sèche. Au-delà, des miaulements nonchalants, des chamailles discrètes, des ronronnements amusés, la rumeur lointaine des guerriers. Le tunnel de ronce bruit; une patrouille devait être en train de s'en aller. Les grillons, et autre menu chanteur aux pattes articulées, se turent sur leur passage. Leur absence laissa un vide dans la rengaine familière de la forêt.
La forêt... Cela n'avait jamais été rien de plus que la cime lointaine des arbres et des curiosités bruyantes. Comme les oiseaux qui se faisaient la conversation, piaillant on ne sait trop quoi en ce début de journée estivale. 

  Parmi ces échanges fugaces, le chant d'un coucou attira son attention. Le jeune chat agita ses oreilles. Son cri était si clair et si fort qu'il résonnait dans son crâne tout comme si l'animal fut à quelques longueurs de queue de souris... Peut-être était-il juste là dans la pouponnière...? Ses pattes malaxèrent la mousse crépitante, prêtes à plonger dans le plumage du volatile. Encore trop endormi pour bien distinguer son rêve de la réalité, il ouvrit les yeux, cherchant à juger de la distance entre lui et sa proie. Ses paupières se décollèrent lentement. Ses pupilles encore dilatées attrapèrent toute la lumière éblouissante du soleil qui se faufilait entre les branches. La pauvre bête fronça le regard, papillonnant un peu.
Pas de coucou... Il eut un soupir de déception alors qu'il se remettait en boule, contrarié.

  Tandis qu'il sombrait à nouveau dans ses rêves, une tête lourde et épaisse tomba sur son dos. Il sursauta et poussa un trille indigné. Pour toute réponse, le grand fauve à ses côtés le fit vrombir de son ronronnement, couvrant le reste du monde alentour. Du plus loin qu'il se souvenait, ce son rassurant avait bercé ses nuits, mais cette fois ci, sa mère avait plutôt tendance à l'empêcher de dormir. Il joua des épaules en bougonnant, à la recherche d'une position plus confortable. Il finit par poser à nouveau son museau entre ses pattes, satisfait et cette fois-ci bien décidé à se rendormir.

  Au moment même où son esprit dérivait à nouveau, il fut brutalement bousculé. Une longue langue baveuse rebroussa vigoureusement le poil de sa tête. Ses oreilles se plaquèrent d'irritation. Maintenant, aucune chance qu'il ne se rendorme. Ennuyé au plus haut point, il se débattit pour s'extirper du soin déplaisant.

  «Je peux le faire tout seul !» S'agaça le jeune chat tandis qu'il se levait d'un bon, défiant du regard Plume de Rouge-Gorge.

  La guerrière cligna lentement pour toute réponse. Sur ses larges épaules ruisselaient ses long poils rougeâtres, éteins et sales. Les cascades de sa fourrure s'emmêlaient dans les éparses écueils de gratterons* récalcitrants que l'imposante femelle négligeait depuis plusieurs jours. Une odeur désagréable de terre sèche résultait de cette absence de toilette convenable. Néanmoins, elle constituait une composante importante du parfum maternelle, auquel Duvet de Foudre était familier. 

*gratterons : Plante accrochante (comme la bardane, le caille-lait, le gaillet, etc.).

  La reine fit un mouvement pour s'asseoir en face de son fils; sa silhouette poussiéreuse se découpait péniblement dans les ombres de la pouponnière. Bien qu'ayant la carrure d'une puissante vétérane accomplie, la chatte peinait à lever sa tête courbée, affichant une figure terne, découragée. 

  Les oreilles de Duvet de Foudre tombèrent contre sa nuque, alors qu'il détaillait l'expression blessée de la reine. Il s'empressa de revenir auprès d'elle pour blottir son museau contre son cou. C'était un mouvement rituel, presque instinctif, qu'ils exécutaient chaque matin, lors de leur toilette commune. Il sentit la mâchoire solide de sa mère se frotter contre son crâne, alors qu'elle poussait un faible ronronnement affectueux.

La Mémoire des Etoiles - Tome 1 - Eclair du PasséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant