chapitre 15

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Mike

C’est une vraie corvée pour moi mais il faut que je rende visite à ma grand-mère. 
Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de toute la nuit. Je regarde d’un œil morne le matelas posé par terre. Je ne me rappelle plus de la dernière fois que j’ai pu m’allonger sur un lit, fermer les yeux et dormir. Je me lève de la chaise en plastique posée devant la fenêtre de la chambre. Toute la nuit, j’ai observé à loisir la pleine lune. A force de la regarder, un bref moment j’ai eu l’impression qu’elle me murmurait des secrets à l’oreille. Je deviens fou à tourner en rond dans ma propre vie comme un lion en cage. 

Il faut que j’aille prendre une douche pour effacer les traces de fatigue de mon visage avant de voir Eugénie. Sinon, elle va encore vouloir me garder plus longtemps que nécessaire. Encore qu’en ce moment, elle m’évite. 

Le soleil se lève à peine. J’aime les matins brumeux de Libreville. Le studio que j’occupe est situé sur une légère colline qui surplombe mon quartier. Cela me permet de profiter de la vue. 
J’aime les matins brumeux de Libreville qui s’accordent parfaitement avec mon humeur. 

Je défais mon jean et me rends à la douche. Après avoir laissé l’eau couler sur mon corps pour réveiller mes muscles endoloris par ma longue station assise, je referme le robinet. Je ne sais pas encore pourquoi mais j’ai la sensation que la journée va être longue. Et mes intuitions ne me trompent jamais. Mon instinct est infaillible. 

Ce qui est drôle c’est que tous mes problèmes ont commencé à cause de cet instinct infaillible. 

Une heure plus tard

Ma grand-mère git sur le sol carrelé de sa douche. A la vue de ce spectacle, mon cœur manque un battement. Je m’approche d’elle et la soulève. Je prends son pouls. J’ai reçu une formation pour dominer mes pulsions en tout instant. Je reste maître de la situation alors que la personne qui compte le plus pour moi git au sol. Dieu merci son pouls bat régulièrement. Je tapote légèrement sa joue pour la réveiller. Elle finit par réagir et ouvre les yeux. Mon soulagement est aussi intense que ma colère. Si je n’étais pas passé, elle serait restée là des heures sans secours. 

- Oh mon bébé tu es là ? murmure-t-elle
- Que s’est-il passé ?

Sous le coup de la douleur, elle ferme un instant les yeux. 

- Ca fait deux jours que je me sens fatiguée. Je n’ai pas pu me laver, j’avais des vertiges à chaque fois que je me levais. Et ce matin, j’ai voulu me forcer… J’ai glissé et voilà le résultat. 
- Tu aurais pu m’appeler. 
- Je sais que tu n’aimes pas être dérangé.
- Tu sais que toi tu ne me déranges jamais. 

Elle porte un pagne usé par le temps bordé de rouge. Je la soulève. Ce n’est plus la femme fluette qui m’a élevé mais une dame de forte corpulence. Son poids ne me pose aucun problème. Le temps passe tellement vite et les gens qu’on aime, petit à petit nous quittent, inexorablement. Je le constate à ses traits qui se sont empâtés, ses cheveux qui malgré la violine blanchissent. 

Quel genre d’homme pense t-elle avoir élevé si elle a peur de me déranger ? J’aime ma solitude, c’est vrai. Mais je l’aime encore plus parce qu’elle m’a pratiquement sauvé la vie. Sans elle, je ne sais pas ce que j’aurai fait de ma vie. 

Je sors de la douche et la pose sur le lit. Puis je me rends dans la cuisine qui m’a vu grandir. J’y prends une chaise et la pose à la douche puis je reviens la chercher malgré ses protestations. Eugénie a toujours été très coquette. C’est un trait de caractère qui s’est affirmé avec l’âge. Jamais au grand jamais elle ne quitte la maison sans son maquillage, ses cheveux teints, ses robes en pagne africain cousues sur mesure. Alors passer deux jours sans se laver a dû être une véritable torture pour elle. 

Love SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant