- Sofia -
Mes yeux lâchent le liquide qui imprègne le corset de ma robe pour scruter l'homme que je viens de bousculer. Je reste un moment à fixer ses iris turquoise, une des rares parties de son visage encore visibles sous son masque.
Tant d'efforts pour masquer son apparence... Serait-il possible que ce soit lui ?
La voix grave de l'inconnu résonne dans un murmure amusé :
- Vous ai-je coupé le souffle ?
- Cela vous plairait, n'est-ce pas ?
- J'aime assez l'idée, vous êtes à couper le souffle également.
Ce côté cliché me rappelle vaguement quelque chose...
- Plus pour longtemps si cette tache s'incruste dans ma robe.
Il remarque le tissu imbibé d'alcool.
- Je peux arranger ça, suivez-moi.
Il saisit ma main sans attendre et traverse le hall.
- Où allons-nous ?
- Dans les cuisines pour emprunter quelque chose, répond-il sans s'arrêter.
Les... cuisines ?! Et si quelqu'un me reconnaissait ?!
L'homme atteint la porte à double battant avant que je n'aie le temps de l'arrêter. Je baisse la tête et couvre mes yeux avec ma paume pour que personne ne me remarque.
Dieu soit loué, j'ai un masque.
Nous passons devant une employée à qui il demande du bicarbonate. Elle l'oriente vers le placard au bout de la pièce. Il prend le bocal et sort aussi vite, toujours en me tirant par la main.
Je me sens actuellement comme un de ces petits chiots que l'on promène partout.
Pourtant, sa prise ferme n'est pas désagréable.
Et il sent si bon. J'ai déjà senti cette odeur...
Il traverse à nouveau le hall avant d'ouvrir une autre porte. Je regarde l'écriteau qui y figure avec surprise.
- Ce sont les toilettes pour dames !
- Vous préférez celles pour hommes ?
- Je ne pensais pas devoir faire ce genre de choix un jour...
Il entre et me dirige vers les lavabos. Je pourrais me passer de son aide mais sa compagnie est la plus divertissante que j'ai eue depuis que j'ai fait irruption à cette soirée.
- Avouez que vous vouliez y entrer, je ne suis qu'un prétexte.
Ses lèvres sont à peine visibles mais je devine qu'il sourit.
- Vous m'avez démasqué.
Il saisit un mouchoir en tissu de sa poche sur lequel il verse la poudre blanche. Il humidifie le tout et se tourne enfin face à moi. Son menton est couvert d'une barbe de quelques jours. Je peux deviner qu'elle lui sied à merveille sans même voir le reste de son visage.
- Puis-je ? souffle-t-il.
- Je vous en prie.
Il couvre la tache avec le mouchoir, juste sous ma poitrine, puis frotte délicatement avant de l'enlever. Sa main passe sous le jet d'eau et revient pour retirer les résidus blancs. Elle glisse sur ma taille, pressant l'eau froide contre ma peau. Un frisson me parcourt.
- Tout va bien ? demande-t-il mélodieusement.
- Vous attendiez juste de sauver une demoiselle en détresse, n'est-ce pas ?
Son regard plonge dans le mien sans que je ne puisse m'en détacher.
- Je l'admets, vous êtes apparue au moment idéal.
J'ai soudainement si chaud que l'eau contre ma peau semble sécher en quelques secondes. Sa main se resserre sur ma taille et il m'attire doucement à lui. Je place une paume sur son torse avec surprise.
Une femme sort brusquement d'un cabinet, les yeux écarquillés de surprise. Elle quitte le lieu en nous dévisageant, sans oser approcher des robinets pour se laver les mains. J'échange un regard avec l'inconnu avant de rire.
- Je devrais vous laisser avant d'attirer plus d'ennuis, murmure-t-il.
Il recule, prend ma main et l'embrasse à la manière d'une révérence volontairement exagérée qui m'arrache un sourire.
- Princesse.
La porte se ferme derrière lui, me laissant seule près du miroir. Face à mon reflet, je me souviens alors de la seule règle à laquelle je ne dois jamais déroger :
Ne pas tomber amoureuse.
Je ne suis pas insensible, si je me laissais aller à l'amour alors je serais prête à tout sacrifier. Et j'ai décidé de mettre un terme à ces sacrifices, il est temps que j'obtienne.
Mais bon sang, faites qu'il s'agisse du jeune millionnaire... J'ai le droit de m'amuser un peu...
Je prends une inspiration et termine de sécher ma robe. Lorsque je retourne à la salle de réception, Léo apparaît soudainement devant moi.
- Te revoilà, je commençais à m'inquiéter, soupire-t-il de soulagement.
- Je suis désolée, une tache d'alcool est plus compliquée à faire partir que je ne pensais.
- Je t'en prie, je dis ça car je me suis rendu compte que j'étais perdu sans toi. Tu me rappelles vaguement ma sœur, je suppose.
Est-ce qu'il a bien dit sa sœur ? Vous l'avez entendu ?
- Je préfèrerais que tu me voies comme une bonne amie.
J'accompagne ma réponse d'un clin d'œil qui le fait rougir.
- O-oui, bien entendu.
Voilà comment sortir habilement de la zone « ami » avec un homme. Surtout, ne pas attendre. Plus il croira que vous y êtes confortable, plus vous y prendrez racine.
Le reste de la soirée s'écoule tranquillement. J'évite les invités qui ne m'apporteront rien pour limiter le risque d'être démasquée.
Certains quittent même déjà les lieux, ma déception ne fait que s'accroître. Je n'ai rien de concret pour le moment et impossible de retrouver mon inconnu. Quant à moi, je suis obligée de rester jusqu'à la fermeture pour assurer la fin de mon service.
- Madame, souffle une voix familière dans mon dos.
En me retournant, je reconnais Dereck.
- Nous avons été interrompus, dis-je avec un sourire.
- En effet, et je ne crois pas que nous nous soyons présentés. Les masques ont l'avantage de privilégier la beauté intérieure, chose que je place par-dessus tout.
Un homme qui le pense vraiment ne sentirait pas le besoin de le préciser. Celui-là s'intéresse surtout à l'intérieur de ma robe, si vous voyez ce que je veux dire.
- Néanmoins je n'arrive pas à vous reconnaître, poursuit-il.
- À vrai dire, j'arrive tout juste d'Angleterre.
- Une Anglaise ? Voilà qui attise mon intérêt.
Tu m'étonnes. Naïve et seule, comme tu les aimes.
Mais c'est peut-être la seule chance qu'il me reste et je ne déclare jamais forfait.
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Monsieur Millionnaire [ÉDITÉ CHEZ BMR]
RomantikSofia Lisbourg compte bien réaliser ses rêves de luxe et de haute couture en intégrant l'élite de la société. Son plan, d'une simplicité calculée, repose sur une clé précieuse : trouver celui qui lui ouvrira les portes de ce monde doré. Et qui mieux...