3- Peur

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-Agnès ? Appela le professeur en verrouillant la porte.

Ne recevant pas de réponse, il pénétra dans l'appartement. Il jeta négligemment son masque à oxygène sur un meuble et son manteau ne tarda pas à suivre le même chemin. Il traversa la salle à manger et ses pas le guidèrent jusqu'à la chambre. Elle était là, assise sur le lit, les mains jointes, dans la quasi obscurité. Seul un léger trait de lumière venait nimber son visage d'ange.

-Agnieszka ?

Sa femme se tourna vers lui avec ce sourire qui le faisait toujours chavirer. Elle écarta les mèches blondes qui tombaient sur ses yeux bleus. Entre ses mains, le pendentif où pendait une petite croix en argent s'agitait au grès de ses mouvements.

-Je préfère quand tu m'appelles comme ça, révéla-t-elle en se levant.

Jean sourit à son tour et la prit dans ses bras. Il enfouit son visage dans son cou, humant son délicieux parfum. Elle emportait partout avec elle cette odeur de cannelle qui comme son sourire possédait ce pouvoir si particulier d'apaiser la plus grande tension.

-Moi aussi mais je ne peux pas le faire en public, tu le sais bien.

Sa femme s'éloigna de lui et replaça une mèche derrière son oreille, comme elle en avait l'habitude quand elle était déçue. Le professeur soupira. Encore une fois, le sujet revenait sur le tapis.

-Je ne suis que polonaise, ce n'est pas comme si je venait de l'autre bout du monde ...

-Polonaise ou antillaise, le gouvernement n'y voit pas de différence, tolérance zéro, pas d'étranger sur son sol.

-Mais je ne suis née en France ! Je suis Française !

-Oui née en France de parents étrangers, ce qui revient à dire étrangère pour le gouvernement, Agnieszka.

Comme à chaque fois qu'ils abordaient le sujet, la compagne du biologiste rompit le dialogue et retourna s'enfermer dans ses prières. Son mari tenta de la sortir de sa bulle mas rien n'y fit. Alors il abandonna et sortit de la pièce, non sans donner une dernière recommandation à celle qui partageait à présent sa vie depuis plus de vingt ans :

-N'oublies pas de cacher cette croix quand tu auras fini, je ne tiens pas à être arrêter pour utilisation illégale d'artefacts religieux.

Elle ne répondit mais il sut qu'elle avait entendu et s'éclipsa dans la cuisine. Il décida de se servir un verre d'eau, pas au robinet bien sûr, l'eau en sortait si polluée qu'elle ne servait même plus pour la vaisselle. Il trouva dans le frigo une bouteille à moitié pleine de cette eau traitée qui devait contenir autant de produits chimiques que si elle ne l'avait pas été. C'était devenu le problème de ce monde, personne ne savait vraiment ce qu'il y avait dans son assiette ou dans son verre.

Le professeur s'assit et contempla le contenu de son verre. Au milieu du silence de l'appartement, il entendait sa femme réciter ses prières de sa voix douce et cristalline. Dans sa bouche, le polonais d'habitude si rugueux, devenait une délicate mélopée. Comme à chaque fois qu'elle s'adonnait à ses prières, Jean sentait en lui ce mélange d'émerveillement et de peur. A elle seule, elle violait chaque jour plusieurs dizaine de lois parmi les plus importantes du pays. Rien qu'en priant dans sa langue natale, elle risquait gros. Elle transgressait alors les deux lois les plus élémentaires du pays : l'interdiction totale de toute manifestation religieuse et la proscription de l'emploi de toute langue étrangère, signe de sa parenté autre que française. Toutes les deux punie par la mort.

-Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi, cela fais 37 ans que je vis comme cela et je n'ai jamais eu de problème, murmura sa femme depuis l'embrasure de la porte.

Le dernier arbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant