13-Révélation

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-Avez-vous besoin d'une escorte monsieur l'adjoint ? lui demanda le garde avant de lui laisser passer le Mur.

Jean eut un instant d'hésitation. Il ne parvenait toujours pas à s'habituer à ce nouveau poste.

Il refusa poliment. Il n'était pas d'humeur à avoir un lèche-botte prêt à le suivre partout. Et puis les quartiers Noirs lui paraissaient bien moins effrayants maintenant qu'il savait ce que le gouverneur avait prévu pour eux. De plus, il avait pris garde à choisir une heure calme pour sa petite expédition. 

Cela faisait deux jours qu'il ruminait l'annonce du gouverneur. Deux jours durant lesquels son esprit le tiraillait. D'un côté il y avait cette part honteuse dont l'ambition débordante voulait tout écraser sur son passage. De l'autre, son côté humain qui voyait déjà quel désastre cette décision constituerait pour des milliers de Noirs. Jean savait ce que le reste de la France pensait des banlieues Noires. Une abomination. Un ramassis de vermine. Un fléau à éliminer. Eux-mêmes avaient déjà depuis longtemps éradiqué tous ceux qu'ils considéraient comme inférieur. Il paraissait même que le gouverneur de la région Lyonnaise souhaitait proposer son aide pour faire de même à Dax. Par souci de fierté, le supérieur du scientifique allait vraisemblablement décliner l'offre. 

Jean commença à flâner dans les ruelles désertes. En général il se contentait de faire le chemin le plus court du Mur jusqu'au laboratoire sans prendre garde à ce qui l'entourait. Bien sûr il connaissait les trottoirs informes, la route mal entretenue et les bâtiments insalubres, mais pour la première fois, il remarqua ce qu'il avait toujours pris pour des tâches dues à la pollution. Des motifs, des dessins, des inscriptions sur certains murs. Le professeur s'approcha et il se mit à distinguer des visages, des paysages. Une inscription dans une langue étrangère barrait une porte rouillée. Jean reconnu de l'anglais que ses parents avaient tenu à lui apprendre malgré l'interdiction. Il frissonna en imaginant ce que risquait le téméraire artiste.

Quelques mètres plus loin un mur entier se livrait sous un jour nouveau. La fresque intrigua le professeur. Il caressa du bout des doigts la tête d'un adorable chiot et se retrouva avec la peau aussi noire que le dessin. Du charbon. Tous ces dessins avaient été fait avec du charbon. Au vu des milliers d'hectares de forêts brûlées qu'on trouvait encore à l'ouest, les artistes ne risquaient pas de manquer de ressources. Admiratif, le professeur recula un peu pour saisir la fresque dans son ensemble. Des dizaines d'animaux s'y rencontraient dans un ballet qu'eux seuls maîtrisaient. Un chiot à l'air joueur, un couple de splendides zèbres, un lion aussi majestueux que sombre et une sorte de grand chien qui ressemblait à s'y méprendre à un patrouilleur. Pourtant, malgré la ressemblance physique, l'animal possédait une prestance et une dignité à mille lieux des babines dégoulinantes de ces machines à tuer. Dans tous les contes pour enfants illustrés par des lions, éléphants ou girafes, il ne se souvenait pas avoir aperçu cet animal. Peut-être s'agissait-il d'une sorte de chien particulière.

En levant les yeux, il aperçut un oiseau qui devait bien faire deux mètres d'envergure. Ses plumes avaient été dessiné avec une précision incroyable. Mais le plus époustouflant résidait dans ses yeux. Jean avait déjà eu la chance d'apercevoir un oiseau dans sa jeunesse mais jamais avec un tel regard, à la fois si humain et si sauvage. Un regard empli de douceur. Comme s'il veillait les hommes avec la bienveillance d'un père. Tout l'animal transpirait une sensation étrange. Une sensation sur laquelle Jean ne parvenait pas à mettre un nom. Quelque chose à l'état brut.

-Parfois les animaux sont plus humains que les humains eux-même vous savez. Ils luttent pour leur survie mais avec un respect pour les leurs que nous ne connaissons pas, lui expliqua un vieil homme aux traits anormalement vieillis.

-Vous devez avoir raison j'imagine mais à vrai dire je n'ai pas eu la chance d'en connaître beaucoup. Très peu d'entre eux vivent encore dans les quartiers Gris.

Le dernier arbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant