Le vendredi suivant, comme prévu, le couple se rendit à la citadelle blanche pour la fête organisée par le gouverneur. Un chauffeur vint les chercher chez eux pour les conduire en haut de la petite colline artificielle qui surplombait la ville. De la maison, la vue aurait pu être imprenable si des murs de plus de cinq mètres ne l'entouraient toute entière. C'était leur présence qui avait donné à la demeure le nom de citadelle car, en la voyant pour la première fois, Jean la trouva bien différente d'une citadelle. De style palladien, celle-ci comportait une maison principale et une dépendance de chaque côté, reliées ensemble par des arcades. Un grand bassin rectangulaire entouré de faux gazon précédait la maison et on pouvait apercevoir le double de celle-ci dans son reflet. Encadrant l'allée qui menait au bâtiment, des statues représentaient des Blancs célèbres. Jean crut même reconnaître une présidente actuelle à la beauté exagérée. Des escaliers en marbre menaient à la villa principale. Sur le fronton de celle-ci on pouvait lire la devise du pays : Travail, discipline, progrès.
Le professeur se sentait oppressé. Il n'aimait guère l'atmosphère étouffante qui régnait. Il se sentait comme piégé. Cette impression ne venait pas du fait que de style italien, la maison appartienne à des gens haïssant de tout leur cœur les étrangers ou que ces mêmes personnes fassent réaliser des sculptures de grands de ce pays qui paraissaient vous fixer de leur petits yeux de lapis-lazuli. Non le problème résidait dans la couleur du domaine. Tout était blanc. De la villa, au mur qui l'entourait, en passant par le gazon et les statues, même l'eau du bassin avait pris une couleur maladive. Le gouverneur était le seul Blanc à vivre en dehors de la cité qui abritait les siens et il voulait tant montrer son appartenance à sa classe sociale qu'il en devenait ridicule.
-Au moins, on ne peut pas dire qu'eux, ce soient des gris, lui glissa sa femme.
Le professeur se mordit la lèvre pour ne pas rire. Il entendit Agnès pouffer et le bonheur l'envahit. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait entendu sa femme rire. Dix-sept ans exactement. Il se tourna vers elle. Elle était si belle dans sa robe anthracite ; ses deux grossesses et la quarantaine approchante n'altéraient en rien son corps de jeune fille.
Il lissa sa chemise ardoise pour ne pas faire tache aux côtés de sa femme et l'entraîna vers la demeure. Dès qu'il eut ôté son masque, une odeur de propre assaillit ses narines. Il toussa bruyamment mais pas assez pour couvrir les piaillements des convives qui résonnaient dans le hall. La plupart d'entre eux, vêtus de blanc, paraissaient tout à fait à l'aise et s'extasiaient sur le réalisme désarmant des statues. Les autres, habillés en gris, en était encore à se demander ce qu'ils faisaient là.
Une petite voix aiguë apostropha le couple. La femme du gouverneur se frayait un chemin jusqu'à eux.
-Agnès ! Professeur ! Votre présence me réjouie au plus haut point ! Comment trouvez-vous ma demeure ? Superbe n'est-ce pas ! J'ose espérer que vous avez pu admirer la vue magnifique que nous avons depuis l'étage.
Ils n'en avaient pas encore eu l'occasion alors ils se laissèrent traîner dans les escaliers. Ils ne le regrettèrent pas. L'étage affichait la même blancheur que le reste mais une immense baie vitré remplaçait le mur sud. Derrière le mur qui entourait la villa, le quartier Gris de Dax s'étalait telle une pieuvre déployant ses tentacules. Le professeur se fit la remarque que jamais les habitants n'avaient aussi bien porté leur nom. Même leur peau avaient viré au grisâtre à force de vivre sans cesse dans cette brume qui s'échappaient des pots d'échappement. Au départ, comme tout les autres, il avait chaque jour tenté d'ôter cette couche de crasse qui parvenait à passer sous les vêtements et qui paraissaient s'incruster dans la peau. Puis elle était simplement devenu comme une seconde nature. Quelque chose qui finira toujours par revenir. Alors il avait arrêté d'essayer. Comme tout les siens. Comme tous les Gris. Il s'agissait de ce qui autrefois portait le nom de ''classe moyenne''. Jean se souvint que l'origine d'une telle appellation datait d'avant la Vague. C'était la première présidente française qui avait commencé à hiérarchiser le pays en trois couleurs. Le blanc, couleur de la pureté, pour l'élite ; le noir, couleur de la mort, pour les criminels, les pauvres, les étrangers ; le gris pour ceux qui n'étaient ni l'un ni l'autre. Tout le monde avait oublié le nom de cette visionnaire depuis bien longtemps à présent, seul subsistait son idéal.
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Le dernier arbre
Science-FictionQuand Jean marche dans la ville qui l'a vu naître, il voit le Mur, cette gigantesque digue construite plusieurs dizaines d'années en arrière pour empêcher la subite montée des eaux de détruire la France et qui à présent sert de séparation entre rich...