Chapitre Neuf

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CHAPITRE NEUF

- Baya - 



Son souffle alcoolisé ricoche contre mon menton tandis que ses propos pourtant lucides me secouent de l'intérieur. Elle regarde soudain derrière moi dans un espoir de dissimuler la vague d'émotion qui s'écrasent sur son visage. Ne triomphe que la haine. Ses pupilles s'assombrissent, ses lèvres tremblent, ses traits durcissent. Elle tente de me contourner afin d'atteindre la porte mais je l'oblige à revenir près de moi, en bloquant sa trajectoire de mon bras. Vaincue, elle baisse la tête.

— Faut que tu m'expliques, Neevah, soufflé-je. Shannon, c'est ça ?! Giacomo l'a tuée ?

Au lieu de me répondre, elle fouille dans son ridicule sac à main - à peine plus épais qu'un portefeuille – et en dégage un papier plié en quatre, surtout très froissé. Elle le déplie avec des gestes brusques comme si elle me considérait fautif de quelque chose. Mon souffle s'amenuise lorsque je découvre un avis de recherche datant de mars dernier. Je reconnais aussitôt la fille sur la photographie, la même que sur celles que j'ai vues chez Neevah ; je comprends alors pourquoi elle me semblait familière. J'ai dû voir cette affiche une bonne centaine de fois, sur le campus, à la patinoire, sur les poteaux de notre résidence...

Shannon Iggins, 19 ans, 1.68m, yeux/cheveux marron et bouclés, peau mate, taches de rousseur sur le nez et les pommettes, signe distinctif : tatouage dans le bas du dos. Je me souviens m'être arrêté pour la lire en tout début d'année ; ça ne faisait encore que six mois qu'elle avait disparu. Dans quelques semaines, ça fera un an. Une peine immense pour elle et Neevah me prend.

— Elle sortait avec lui depuis peu, elle me racontait des choses sur la FI, bizutage et autre... se livre-t-elle avec un dédain évident. Elle a disparu à leur Spring Break mais elle avait déjà commencé à changer avant ça.

— Vous avez jamais su ce qu'il s'est passé ?

Elle secoue la tête, touchée au plus profond.

— Personne ne parle vraiment, la fac camoufle le temps de l'enquête...

— Et Giacomo ?

— Il dit qu'ils étaient en froid à ce moment, qu'elle était surtout avec des amies... Mais, la veille, elle m'a dit que ça allait mieux et qu'elle allait profiter de ces vacances pour passer du temps avec lui. Après coup, je me dis qu'elle voulait peut-être me rassurer. Il s'est passé quelque chose...

Elle s'arrête tout à coup, les yeux se baladant dans les vides comme son esprit semble se perdre dans ses pensées. Je devine à ses traits que Neevah s'est faite une idée et qu'elle s'y accroche de tout son cœur. Est-ce vrai ou est-ce seulement une désillusion ?

— Mais t'as pas de preuves, complété-je pour elle.

— J'en ai trouvé une là-haut, m'assure-t-elle. Son baya que j'ai trouvé dans les jeans... le « vieux collier », comme tu dis.

— Désolé, c'était maladroit... Il prouve quoi alors ?

Elle attrape tout à coup ma main pour la placer sur sa taille, ce qui me surprend. Je sens aussitôt des perles sous le tissu de sa robe et c'est bien la première fois où ce toucher ne me procure rien. Car l'attitude agitée de Neevah m'interpelle davantage ; depuis que nous sommes descendus de cette chambre, elle n'est plus tout à fait la même. Sans doute parce qu'elle a mis de côté sa comédie.

— C'est un collier de taille, ajoute-t-elle. Depuis nos 12 ans, on en porte un toutes les deux. On s'est promis de ne jamais l'enlever, sous aucun prétexte, sauf si c'est pour en mettre un autre mais on se le dit toujours.

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