Cinq traits pour un tableau

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    Un magnifique banc, juste à l'ombre d'un sycomore prêt d'un lac. Le soleil semble tout illuminer aujourd'hui, le lac se fait diamant tant il éblouit, comme reconnaissant, montrant sa gratitude au roi des cieux (ou en tout cas de celui-là). Un bleu profond, éclatant, tendre plane juste au-dessus de nos têtes. Les branches du sycomore saluent leurs reflets dans l'eau, de là-haut, là où elles sont, elles nous font profiter d'une si belle journée, à l'abri des rayons pressants du soleil, nous contentant du spectacle de lumière scintillante sur la surface plane du lac Abrume.

    Juste à la croisée, là où le sycomore continu d'ombrager le pont, là pour nous emporter à l'autre rive, rive où la végétation, les arbres et la nature ont élu domicile, nous interdisant l'indifférence à la vue d'une si belle forêt aussi mystérieuse que luxuriante...

    Juste là, à la porte d'un nouveau monde, elle se tient là, juste là. À croire qu'elle respire, comme si l'oublié voulait parler. Effleurant avec une délicatesse infinie, le vieux bois de la barricade protégeant de nos assauts, Abrume. Elle glisse, comme si ces fins doigts n'étaient que sur un coussin d'air. Juste avant l'angle, entre la fin de la barricade du lac et le début de celle du pont, elle s'arrête là. Comme si les yeux qu'elle n'a pas, observaient, comme si elle attendait, le temps... le temps d'un souvenir, d'un sourire, comme pour profiter des traces qu'elle a laissé derrière elle...

    Comme pour nous laisser lire les tatouages que le temps à graver sur sa peau.

    Une main semblant avoir appris, tant sa posture sur ce vieux bois est sage. Ses doigts légèrement écartés ne se traînent pas sur la barricade, elle s'y pose, avec précision, assurance et mélancolie. Chaque doigt effleurant de son bout la mousse qui recouvre cette petite poutre, sans que la main entière ne s'y attelle.

    Une main de brave, des ongles usés, maltraités et en mauvais état, de ceux qui ne restent pas souvent dans des gants, obligés d'être prêts à toutes les tâches...

    Je les imagine essuyant la sueur de ce front, je les imagine dans la terre pour planter la vie, alors même que la leur s'effrite, je les imagine en train de frotter les taches qu'ils ont laissées sur le beau sol d'un grand salon, plus grand que l'espoir n'est dû. Je les vois s'attelant, s'usant à en faire briller chaque parcelle, pour que ce soir, des bottes boueuses viennent annihiler le travail accompli, pour que ce soir, toutes les saletés s'y soient à nouveau incrustées.

    La délicatesse d'une jeunesse abusée. C'est curieux comme une main toujours trempée finie par s'assécher. Une peau prête à se fissurer, tant ces corvées l'ont étirée et rendu sec, épuisant son élasticité pour ne laisser que des rides arrivant trop tôt. Comme un souvenir indélébile, de ces heures passées à s'abîmer et à rougir sur ses tissus salissants, qu'il fallait pourtant rendre immaculé.

    La violence des coups qu'elle aurait voulu remettre au destin, peut-être est-ce à cela qu'elle songeait, quand elle se rappelait de ce destin qui l'avait condamnée à éplucher des pommes pour une tarte, qu'elle ne ramènera jamais à ses lèvres, qui devront rester closent. Après une journée à laisser ce couteau entailler sa peau, augmentant la rigueur de ses doigts, pour couper, émincer, éplucher légumes, vivres, viandes, fruit etc. etc. Cette main, qui aura tant travaillé et tant œuvré à la composition du plus délicieux des repas, se contentera de se poser sur ce ventre vide, espérant en faire taire ainsi, les cris d'affamé. Attendant sagement que les assiettes se vident autant que ses forces, pour ensuite les récupérer et plonger avec elles dans l'eau qui les lavera.

    Lorsqu'elle glisse sur ce visage, elle ne le sait pas, mais parfois, les gouttes qu'elle récupère entre ses doigts sont larmes et sueur, glissant sur une peau pétrit d'une dure réalité.

    Cette main, elle a blanchi, elle a séché, elle ne compte plus ses cicatrices et abandonne sa beauté à un rêve, mais la couleur même pour laquelle on l'a condamnée est celle-là même qui lui donnera la force aujourd'hui, de glisser sur ce vieux bois qui bordent le lac et le pont, jusqu'au nouveau monde plein d'espoir, où la plus petite brindille est digne d'importance, car ce sont elles qui s'accumulent pour donner un air majestueux à l'arbre qui les retient.

Nous ne sommes plus esclaves, si nous décidons de ne plus l'être Isabella.

    D'un air entendu, elle me faisait enfin remarquer son sourire et de cette main que j'ai tant observée, Isabella, ma grande sœur, me tira du banc. Nos doigts même usés, s'enlacèrent comme la promesse de rester à jamais braves, peu importe ce qu'il y aura derrière cette forêt, on ira, si la liberté a une chance d'y fleurir...

Envie de proses...   infinie poésie         [en correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant