Aidez-moi !

12 4 1
                                    

C'est une nuit, une nuit d'été. Le chant des criquets se fait déjà entendre au loin. La brise chaude souffle depuis l'orient et caresse la cime des épis de blé dans les champs. Tous paradent dans la même direction et lorsque la brise cesse, ils retournent à leur position initiale. La journée de labeur a été longue, je m'apprête à rejoindre mon lit. Mais avant ça, je me surprends, comme à mon habitude, à scruter les infinis paysages dorés qui s'offrent à moi, nimbés d'une couronne en feu qui s'éteint petit à petit dans l'horizon. J'exulte en admirant le jour se noyer dans le crépuscule lointain. Ces instants de plénitude, seul avec moi-même, m'aident à trouver le sommeil. Le cœur emplit d'accomplissements, je continue d'admirer le soleil se suspendre sous les nuages devenus rosés, jusqu'à ce qu'il ne se perde définitivement, laissant place à un velours noir qui se déploie dans le firmament, moucheté de petits étoiles d'argents, clignotant sans peine.

Je souris, peu importe la raison... et pars me faufiler sous les houles de mes draps. Mais à l'instant même où j'atteins le sommier, un cri d'effroi déchire le silence de la nuit. "Aidez-moi !". Je fais volte-face, les nerfs écorchés à vif par ce si soudain appel torturé. Je cours à ma fenêtre et lance mon regard en vadrouille aux quatre coins du périmètre. Je ne vois ni n'entends personne... Le terrain, la grange, le champ, tout est submergé par une impénétrable immobilité, à peine altérée par les rondes du vent. Ai-je imaginé ce cri ? Non, c'est impossible, je l'ai bel et bien entendu ! Il a heurté mes tympans et piqué ma nuque d'un froid déroutant. Pourtant... Les lieux sont déserts et le calme nocturne règne de nouveau en maître sur les horizons. Mon rythme cardiaque s'apaise, mon souffle s'accommode à cette nouvelle sérénité. Je m'en vais cette fois pour trouver le sommeil, mais une fois de plus, je suis retenu par ce cri hideux qui éclate en lambeau ! "Aidez-moi !". Aussitôt, je m'accroche à ma fenêtre, la mine décolorée, les yeux exorbités. Ça provenait de mon champ, ça ne fait aucun doute ! Quelqu'un s'y est-il aventuré ? S'y est égaré ? Est-il blessé ? "Aidez-moi !", insiste la complainte qui se désagrège à mesure qu'elle retentit.

J'attrape ma lanterne, me rue à la hâte hors de ma chambre, dévale les escaliers qui gémissent sous mes pas, et me précipite à l'extérieur de la maison. Je suis déjà à bout de souffle, le regard en alerte tournoyant d'un bout à l'autre des lieux. Je décris des cercles sur moi-même, ne discernant presque rien dans une nuit anormalement épaisse, puis me décide à me rendre à l'orée du champ, là où le vent plus menaçant agite le blé.

"Monsieur ?! Où êtes-vous ?!", je m'écris.

Mais aucune réponse.

Rien que la brise qui s'amenuit et le rythme du blé qui retrouve son innocence.

Les criquets sifflent, la nuit s'assoupit, et moi, je ne cesse d'être taraudé par un sentiment houleux qui se soulève au fond de mes tripes. La main tremblante, je balade le faisceau de ma lanterne d'un bout à l'autre du vaste antre, tentant de déjouer les fentes qui séparent les épis sans pour autant parvenir à lever leur obscure voile. La voix, que je ne sais être celle d'un homme ou d'une femme, ne retentit plus. J'appelle à nouveau, mais là encore, aucune réponse. Le vent, ainsi que les épis, prennent une lenteur irréelle, et cet inexplicable frisson dans la réalité m'empêche de rester serein. Je suis incapable de m'introduire dans le champ, pas même de retourner me coucher. Je reste en suspens, dans une nuit de plus en plus grouillante, à examiner cet affreux dédale fourchu qui me parait à cet instant terrifiant.


Puis tout à coup ! "Aidez-moi !".

« J'arrive ! », je détonne aussitôt.

Je pénètre dans l'antre et m'enfonce alors à toute vitesse à travers les inextricables sentiers qui s'offrent à moi, les échos torturés de la voix comme seul guide. Mes jambes battent telles des cisailles et rompent les épis récalcitrants qui se dressent sur mon passage. Mon domaine ne m'a jamais paru aussi vaste et plus je m'enfonce, plus sa fourrure s'épaissit, devenant difficilement praticable par instant. « Aidez-moi ! », retentit sans cesse la voix. « Je suis là ! J'arrive ! », je réponds. J'ai cette désagréable impression que plus je m'égare dans cette étendue de fougère et plus la voix s'écorche et s'éloigne. Je commence à perdre en allure, et les épis me paraissent bien plus grands et larges qu'auparavant, m'écrasant bientôt comme dans un étau. Mes pas deviennent trop lourds pour que je puisse les soulever, et j'arrive à court d'élan, isolé dans une étroite alcôve perdue au beau milieu de mon champ.

Ténèbres éveilléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant