Où les liens du sang sont souvent puissants...

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Le jour perdait en intensité, l'air se rafraichissait et j'ai soupiré un grand coup avant d'emboiter le pas. Je me suis demandé ce qu'ils diraient après mon départ, eux là, tous. Cette fille aux yeux bruns et au sourire narquois qui se mêle de la vie sexuelle d'autrui comme si c'était la sienne. Celui au regard doux et au grain de beauté sur la tempe qui se retenait d'exploser de rire. Lui, il avait l'air sympa. C'était marrant, comme expérience sociétale, de confronter la frustration intense de quelqu'un. Thomas avait une amie surprenante. Elle avait tendance à en vouloir à tous les gens qu'elle rencontrait. La mention de "Rachel" l'avait mise sur la brèche. Sans Zart, j'aurais pu faire profil bas et ne surtout pas dire que j'étais Yzak-17. C'est ce que Thomas aurait voulu, que je me taise et que je ne mentionne ni son ex, ni Poisson Soluble ni le fait que j'étais un joueur renommé. Mais l'occasion était trop belle pour moi. Rencontrer Brenda, alias Reda-35B et lui montrer que j'étais plus proche d'elle qu'il n'y parait, c'était asseoir ma toute puissance. 

Je n'étais qu'un gamin, sur ce point-là, elle avait raison, d'ici deux semaines, j'aurais dix-huit ans. Rien d'affolant dans la réussite de l'existence. En si peu de temps, elle avait tenté désespérément de me toucher dans mon égo, insinuant que Rachel avait sans doute eu pitié de moi pour coucher avec moi. Je ne pensais pas qu'on couchait avec les gens par pitié, du moins, c'était des cas rares. Je trouvais ça étrange de se dire ça, comme si c'était un sacrifice pour une bonne cause. Non. Faire l'amour avec quelqu'un est un acte d'intimité, on ne peut pas le faire juste par pitié. Enfin, peut-être que certains le peuvent. Mais à mon âge, même si je n'avais eu aucune expérience sexuelle, il n'y aurait rien eu de dramatique. Même à trente ans, ça ne serait pas dramatique. Alors non, on ne couche pas avec un gamin par pitié. C'est d'un glauque comme pensée. Vraiment glauque et malsain. Peut-être qu'elle ne pense pas que je sois encore mineur, vu qu'ils sont tous étudiants. Dans tous les cas, Rachel étant plus âgée que moi, je pense vraiment qu'elle a réfléchi avant d'agir... Je veux dire, ça peut tellement vite déraper dans un abus de pouvoir ou une sorte de domination d'ainée à cadet que, je ne pense pas qu'elle l'ait fait par pitié. 

J'ai fini par m'asseoir au bord du fleuve, sur les murets en pierre qui pavaient les quais, regardant le jour tomber. Les pensées vénéneuses de Brenda se faufilaient dans mon cerveau et semaient une certaine pagaille. Je me demandais ce que ma sœur allait dire, elle qui avait garder le silence. Teresa n'était pas du genre à ouvrir la bouche pour défendre les siens. Elle détestait prendre parti ouvertement, elle n'aimait pas non plus se faire catégoriser parce qu'elle s'était fait remarquer sur ses opinions. Sonya, au contraire, était celle qui venait au devant des champs de bataille. Elle aurait écraser la tête de Brenda dans son café pour avoir manqué de respect à son précieux petit frère. Elle aurait hurler aux autres qu'avoir une amie comme ça, c'était peu recommandé. Brenda avait déjà insulté ma sœur, elle m'insultait moi aujourd'hui (non pas que ça me vexe), mais je lui souhaitais de ne jamais croiser ma sœur ainée si elle voulait rester en vie. Le courroux de Sonya était tel qu'enfant, dans notre quartier, les autres gamins l'appelaient la terreur. Quiconque touchait à sa sœur ou à son frère mangeait le sable deux minutes après. En primaire, elle se battait régulièrement contre les autres élèves, dès qu'elle n'était pas d'accord avec eux. Teresa passait ses récrés toute seule dans son coin à jouer à des jeux solitaires, Sonya tapait tout le monde et moi, je me cassais souvent la margoulette, revenant à la maison plein de bleus et de "bobos". Petit, j'adorais courir avec un de mes copains, on passait nos récrés à inventer des aventures. Mais j'étais un peu maladroit et je m'entortillais les pieds, râpant mes genoux contre le goudron... Sonya aurait fait la peau au goudron si elle avait pu, mais elle était occupée à défendre l'honneur de Teresa, donc les filles de sa classe, prenaient pour cible avec des moqueries bien sympathiques. Les enfants sont souvent cruels entre eux. Et Teresa ne rentrait pas dans le moule, comme les autres petites filles de sa classe. Elle était déjà très bonne élève, mais ne parlait pas ou peu, elle était solitaire, la plupart de la primaire, presque incapable de nouer des liens avec les autres. Face au tempérament extraverti et rayonnant de Sonya, ça faisait une sacrée différence. 

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