Deux

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     En ouvrant les yeux, j'ai eu l'impression de revivre la journée d'hier. J'ai eu la même sensation qu'en me réveillant hier matin : le sentiment affligeant de perdre un jour de plus. Ce qui était tout à fait vrai. Nous étions mercredi.

    Seul le grattement de Frost sur la porte de ma chambre perturbait le silence. Mon père était à son travail et ma marâtre de belle-mère aussi. Mon réveil indiquait qu'il était déjà tard. En soupirant, j'ai poussé les couvertures et je me suis levée. J'ai enfilé mon t-shirt d'Audrey Hepburn et un mini short en jeans. J'ai attrapé mes Vans et je suis descendue. Frost m'a suivi jusqu'à la cuisine. Je lui ai ouvert la porte du jardin pour qu'il me lâche les baskets. Quand, j'ai ouvert le frigo pour prendre la bouteille de jus de fruits, mes yeux se sont posés sur celle de sangria. J'ai craqué parce que je suis faible.  Je me suis servie un verre. Puis un deuxième. Au troisième, j'ai allumé la chaîne I-Fi et ai mis la musique à fond.

     Je ne tiens pas l'alcool. J'ignore combien de verres il faut pour que je sois pétée parce que j'arrête toujours de compter après le dixième. Cette fois-là, j'ai bu jusqu'à danser sur la table basse du salon et à aller me rouler dans l'herbe du jardin. Là, je suis restée couchée à regarder le ciel. J'ai repensé à cette histoire que je racontais à Riri quand j'étais complètement bourrée à un point que je m'étalais par terre.

     J'aimerais être un oiseau moqueur que l'on aurait attrapé et mis en cage. Pour me moquer de ceux qui m'auraient attrapée, je m'échapperais de la cage et m'envolerais vers le ciel.

     C'est cette histoire que je racontais à Riri. À chaque fois, je pensais qu'elle allait rire de moi, mais elle restait un moment, silencieuse. Puis, elle s'approchait de moi comme si elle allait me chuchoter un secret à l'oreille et au dernier moment, elle me rotait au visage. On en rigolait jusqu'à en mourir.

     Seulement, Riri n'était pas là, et même si elle avait été là, je ne crois pas que j'aurais su rire.

     Me levant, j'ai appelé Frost pour qu'il rentre dans la maison. Sentant le mal de tête arriver, j'ai coupé la musique. J'ai attaché la laisse au collier de mon compagnon à quatre pattes. L'envie soudaine d'aller voir Mayron m'était venue. Je désirais qu'il m'embrasse, qu'il me caresse et me fasse oublier cette pensée sombre et déprimante qui me hantait. C'était pathétique et désespéré. J'étais désespérée.

     En ce moment, les élèves de  ma classe avaient EPS. Les filles et les garçons étaient ensemble pour faire orientation dans les bois. La plupart des filles séchaient le cours d'EPS non parce qu'elles avaient peur de courir avec les garçons, ni parce qu'elles ne savaient pas se servir d'une boussole et d'une carte, mais parce qu'elles détestaient la lesbishe-de-prof. Toutes la surnommaient ainsi, depuis que Tori avait dit à qui voulait l'entendre que Mme Tauren l'avait complimenté sur sa poitrine. Il y a des cas sociaux.

     Il m'a été facile de trouver Mayron. Il ne courait pas. Il fumait et buvait de la vodka avec Rick et Jules. La surprise a marqué le visage de mon petit-ami lorsqu'il m'a vue.

        — Hall ? Tu sèches les cours sur place depuis quand ?

     C'est tout ce qu'il a trouvé à me dire. J'ai grimacé intérieurement.

       — Tu n'es pas content de me voir ?

       Il n'a pas répondu. Il s'est approché de moi.

     — Tu es sûr que ça va ?

     Je devais avoir une tête de zombi, mais je m'en moquais. Je l'ai attiré contre moi.

     — Je viens bien, ai-je menti.

     Je n'étais pas entièrement dessoûlée. La pensée sombre me narguait depuis l'abîme du découragement. Ce trou vers lequel je plongeais en chute libre. Il  fallait que Mayron m'embrasse, me serre contre lui pour m'empêcher de m'écraser au sol. Autant soit peu que cet abîme ait un fond.

BreathlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant