Trois

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     Titubant tant bien que mal jusqu'à la porte d'entrée, j'avais l'impression de marcher sur une corde raide, risquant de tomber à tout moment, dans l'abîme des abattus. Mayron venait de klaxonner. Il était l'heure d'aller se bourrer (encore plus) pour oublier. Mon cœur a sauté dans ma poitrine. Et l'heure pour autre chose aussi.

     Mon père était rentré plutôt que prévu et il n'avait pas été étonné de me voir affalée dans le canapé devant un film d'horreur avec un paquet de chips et une tonne d'autres cochonneries. Parfois, je suis trop faible pour m'empêcher de tuer le temps en me goinfrant de crasses absolument pas nutritives, entre les repas.

     Je n'avais pas échangé un seul mot avec mon père jusqu'à ce qu'il parte au restaurant avec l'autre cinglée prétentieuse. Il ne m'avait même pas dit : « Je suis désolé pour tout. » Ce qui n'aurait pas suffi.

     J'étais donc libre de mener ma soirée comme bon me semblait. Même si je venais à rentrer à trois heures du matin, complètement bourrée, il ne s'en inquiéterait pas. Il ne se préoccupait plus de moi. Il faisait semblant de ne pas se sentir responsable de ce qui m'arrivait. À moins qu'il s'en moquait réellement, royalement. Mais n'était-ce pas de sa faute si j'avais cette anomalie en moi ?

     Repoussant ces mauvaises pensées le plus loin possible vers le fond de mon esprit, je me suis concentrée sur l'instant présent. Quand je me suis glissée sur le siège passager de la Volvo de Mayron, ma robe est remontée jusqu'au ras de mes cuisses, dévoilant bien des choses, et s'il avait baissé la tête, il aurait eu la plus belle vue de sa vie. Au lieu de quoi, il fixait le volant. J'ai rabattu mes cheveux à l'arrière de façon à dégager mon décolleté, et ça non plus il n'y a pas prêté attention. Il commençait à m'agacer de ne pas poser les yeux sur moi.

     J'ai posé ma main sur sa jambe. Cette fois il a daigné m'accorder un regard.

     — Tu es sûre que tu vas bien Hall ?

     Je lui ai souri. J'avais pris une décision et je comptais bien aller jusqu'au bout. Rien que pour oublier la douleur, pour me prouver que j'étais encore en vie. Je me suis penchée vers Mayron pour lui murmurer mes pensées à l'oreille.

     — Je te veux, ai-je soufflé.

     Il m'a regardé bizarrement. Je m'étais imaginé qu'il me sauterait immédiatement dessus. L'alcool, sans doute.

     — Euh Hall, tu es bourrée ?

     — Quoi tu te dégonfles ? ai-je rétorqué en glissant ma main dans son pantalon.

     Oui j'étais bourrée, mais je savais ce que je faisais. Je savais aussi que l'apaisement n'allait pas durer, car Tout chemin aboutit au même point : la désillusion comme l'a dit Oscar Wilde. Et cette illusion pourrait très bien s'envoler demain matin, tout comme dans à peine une heure. Il fallait que j'en profite maintenant.

      — Hall... a-t-il chuchoté.

     Il m'a regardé les yeux brillants.

     — Tu veux faire ça, ici, maintenant ?

     J'ai retiré ma main.

     — Non, chez Rike.

     Il a hoché la tête.

     — Tu te souviendras de cette nuit, a-t-il lâché convaincu, sûr de lui comme n'importe quel mec.

     Nous ne savions pas à quel point ça allait être vrai.



***


BreathlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant