Quatre

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     Un mal de tête m'a tirée du sommeil. Quand j'ai ouvert mes yeux sur le plafond de ma chambre, une sensation étrange a envahi mon ventre. Les restes d'hier. Pour avoir beaucoup trop bu et avoir fait... le vide.

     Je me suis redressée dans mon lit, en me frottant les yeux. Le réveil indiquait treize heures et quart. J'ai fait un effort considérable pour me lever et aller prendre ma douche tellement j'étais épuisée.

     Vivre était vraisemblablement une activité qui demandait énormément d'énergie. Exister était vraisemblablement une activité qui demandait énormément d'énergie. Je m'étais réveillée vers trois heures du matin dans un lit trop grand pour moi et trop vide pour que je ne me sente pas seule. Johan avait disparu, m'abandonnant. Tant mieux, avais-je pensé, ça m'aurait écœurée de me réveiller entre ses bras, couchée contre lui. Demi-mensonge. Je rêvais de me réveiller dès aujourd'hui et tous les jours de l'éternité entre les bras réconfortants, contre le torse musclé et collée au corps chaleureux de quelqu'un qui saurait m'aimer telle que je suis. Mais peut-être que j'espérais trop.

     L'espoir ne fait pas vivre. L'espoir tue. Cela j'en étais certaine.

     La fête n'étant pas terminée, j'avais pu trouver quelqu'un pour me reconduire. Le reste, je ne m'en souviens plus trop.

     En sortant de la douche, j'ai songé envoyer un message à Johan, du style « on remet ça à quand ? » Mais j'ai trouvé ridicule de lui supplier un rencard thérapie-parlons-de-nos-problèmes-d'ados-torturés-et-tâchons-de-nous-convaincre-que-nous-vivons-dans-le-meilleur-des-mondes. L'idée d'un tout entre rendez-vous a vaguement traversé mon esprit. Je nous ai imaginés sur un lit, fondus l'un dans l'autre. Il fallait que j'oublie. Il fallait que j'oublie. Il fallait que j'oublie. C'est la seule raison que j'ai trouvé pour justifier cette pensée insensée.

     Arrivée à la cuisine, j'ai découvert mon père en conversation silencieuse avec ma  *fausse* belle-mère. Ils ont sursauté quand ils ont pris conscience de ma présence dans la pièce. Leur visage est devenu aussi pâle que celui d'un mort.

     — Hall, tu es déjà réveillée ? a chuchoté mon père.

     J'ai levé un sourcil. C'était bien la dernière chose que j'aurai pu imaginer sortir de la bouche de mon père. Le matin, il ne me parlait jamais. Autant dire que depuis un certain temps, il ne me parlait tout simplement pas du tout. *Quelque chose clochait.* Quelque chose était brisé.

     — Ben ouais, ai-je dit en ouvrant le frigo.

     Ils ont continué à me fixer étrangement. J'ai sorti la boîte de lait du frigo et refermé la porte avant de me retourner vers eux.

     — Vous en faites une de tête ! Qu'est-ce qui se passe bon sang ? Tu vas quand même pas m'annoncer que tu vas épouser cette grosse baleine (cette dernière phrase était destinée à mon père).

     Ils se sont regardés étrangement en silence. S'il comptait l'épouser ce serait encore pire que la fin du monde. Je refusais qu'il gâche ainsi les derniers mois qu'il me restait à vivre.

     — Oh, pardon. Une baleine est encore plus jolie que cette chose.

     Pas de remarque sur le fait que je doive rester polie envers Miss-Pas-Parfaite. Échange de regards.  Petits yeux plein de douleur. Cœurs qui battaient trop, trop, trop vite. Et puis soudain...

     Je suffoquais.

     T.S. Eliot avait tort en disant que le monde se termine non sur un boum, mais sur un murmure. C'est faux parce que d'abord il y a eu un moment de silence suffoquant. Puis les éclats de mon âme qui se sont répandus. Et un cri qui a déchiré l'air silencieusement. Il y a toujours quelqu'un qui crie. Sauf que personne ne l'entend. J'hurlais. Intérieurement.

BreathlessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant