4: Aphrodite a du sang d'encre à se faire

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   Mes yeux ne pouvaient tout simplement pas se détacher de leur hypnotisante vue. La vitre crasseuse sur laquelle ma tête reposait nonchalamment me transmettait paresseusement ses moindres vibrations dues aux secousses inévitables qu'elle endurait sans broncher. Le ronronnement continu et régulier des roues de mon train préféré sur cette Terre emplissait délicieusement la cavité de mes oreilles. Cette chanson, constituée de simples frottements entre les rails et les roues du wagon chaleureux, apaisait naturellement mes pauvres ruminations inopportunes et relaxait adorablement bien ma conscience habituellement hantée.

   Mes paupières ne souhaitaient que chuter une bonne fois pour toutes sur ma vision fatiguée, ne me laissant plus qu'entrapercevoir le faible reflet d'un paysage aussi vert que n'importe quelle contrée montagnarde et pleine de vaches mugissantes. Ma tête bourdonnait agréablement et m'offrait la sensation délicieuse de flotter sur un petit nuage cotonneux ne pouvant accueillir aucune autre âme vivante et apaisée. La locomotive écarlate me conduisant inexorablement au lieu des festins les plus incommensurables me paraissait se situer à une distance si infinie. J'étais dans mon monde paradisiaque et propice aux réflexions profondes ou, au contraire, terriblement anodines.

   Le cours modifiable de mes pensées vagabondantes décidèrent de m'emmener aujourd'hui dans un passé proche de deux semaines. Des tissus nacrés et aux formes inimaginables s'entassèrent dans ma mémoire et me replongèrent immédiatement dans le souvenir coloré des essayages de robe de mariée de Sonya. Sa tête sceptique face aux modèles récents de la mode sorcière me revenait aussi nettement que si je revivais la scène une seconde fois. Son émoi important avait été d'une hilarité incomparable face aux propositions farfelues de Madame Guipure, la gérante du magasin de vêtements pour sorciers. Je me souvenais encore parfaitement de mon hésitation palpable dans l'entrée de la boutique. Après tout, j'ignorais totalement si cette petit sorcière grincheuse mais efficace avait les capacités requises pour confectionner une robe de mariée digne de ce nom. Ma surprise avait d'autant été plus grande quand la spécialiste des tissus eût affiché un sourire éblouissant à la mention de notre principale requête. Elle nous avait sorti un laïus improbable concernant le fait qu'elle avait attendu ce jour depuis la fois où son magasin avait ouvert ses portes –il y avait donc très longtemps–.

   Mes souvenirs remuants me catapultèrent indiscutablement à la discussion menée par Sonya et moi-même à la sortie de notre recherche infiniment longue. Les passants pressés et au visage inquiet me revinrent en tête et je pris un instant dans la contemplation de mon passé pour me maudire intérieurement de mon inconscience. Les paroles insinueuses de Sonya me tournaient invariablement dans le cerveau, telle une tornade tourbillonnante et me bourrant les oreilles de phrases voulant m'éclaircir une certaine situation affective.

   Ce Remus n'est pas simplement un ami.

   Et puis qu'est-ce qui lui faisait dire des choses pareilles? D'accord, ce n'était pas simplement un ami. C'était mon meilleur ami. Après Nora. Ou devant. Je ne savais plus.

   Tu ne m'as parlé que de lui pendant les essais de ma robe!

   Parce qu'il demeurait bien être le seul avec qui j'osais aller aussi loin dans mes taquineries! Je voulais faire comprendre par là que c'était à son encontre que je commettais les meilleures blagues imaginables. Il n'y avait rien d'autre à imaginer dans ce que je pouvais bien avoir le don de baragouiner à longueur de journée!

   Quand tu parles de lui, tes yeux se mettent à scintiller comme des feux d'artifice.

   On pouvait toujours compter sur Sonya pour exagérer ouvertement des faits falsifiés. Enfin, j'espérais de toute mon âme que ce phénomène ne soit pas vrai parce que mon ego en prendrait un coup trop rude. Ce serait terriblement embarrassant quand même!

Rouge & Or?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant