Le Fou de la Reine

Chapitre 4

Maple monta dans un train très tôt ce matin-là, accompagnée de son frère Cimeon qui l'interrogea sur sa mauvaise humeur flagrante :

— C'était forcément aujourd'hui ? demanda-t-elle.

— Aujourd'hui ou un autre jour, qu'est-ce que ça change ?

— J'avais mon cours ce matin.

— Avec la belle Ylena, commenta Cimeon d'un ton rêveur.

— Je pensais avoir été claire, je ne veux pas que tu l'approches.

— Carrément, je pensais que je pouvais au moins fantasmer, non ?

— Si tu veux, dit-elle sans conviction.

Il l'observait du coin de l'œil, réfléchissant à un moyen de changer son humeur, car il n'était pas partant pour une mauvaise journée. Il ouvrit l'un des dossiers qu'on lui avait confiés. Il n'était qu'accompagnateur pour ce voyage professionnel où ils devaient s'occuper de deux dossiers. Ils devaient d'abord se rendre à un grand hôpital, rencontrer l'équipe marketing pour leur proposer un contrat d'exclusivité, puis ils s'étaient engagés à rencontrer un homme pour un tout autre type de contrat. Ils aimaient dire qu'ils rendaient service à un collaborateur.

— D'après ce que je lis, il veut vendre des informations très sensibles. Il a déjà pris ces billets pour partir à l'autre bout du monde, expliqua-t-il, on a pas beaucoup de temps devant nous.

— Pourquoi ne pas t'envoyer seul, t'aurai pu t'en occuper.

— Parce qu'il pourrait y avoir des complications et tu sais que je n'ai aucune minutie ni diplomatie. Mais j'ai une question pour toi : pourquoi on y va en train et pas en voiture ?

— Parce que tu n'as aucune minutie, dit Maple avec un sourire moqueur, tu conduis comme un barge.

— Mais tu aurais pu conduire, toi.

— Non, je voulais lire, j'ai jamais le temps de lire, dit-elle en sortant un bouquin de son sac.

— Intello, taquina Cimeon.

— Imbécile, rétorqua-t-elle.

— De mon côté, je vais en profiter pour rêver d'Ylena, dit-il avec un air de béatitude, enfin si tu me le permets.

— T'es grand, fais comme tu veux.

Maple et Cimeon s'entendaient particulièrement bien, il était toujours un soutien pour elle et trouvait toujours un moyen de faire disparaitre sa mauvaise humeur. Quand ils étaient petits, Maple, âgée d'à peine deux ans, avait une peur panique des nuits d'orages, mais elle se sentait tout de suite en sécurité lorsque son grand frère de déjà neuf ans apparaissait dans l'entrebâillement de sa chambre. Ils se retrouvaient à dormir tous les trois dans le même lit, eux deux et leur autre sœur, ce qui ne plaisait pas du tout à leur père qui les réprimandait dès qu'il les trouvait au petit matin. Pourtant, il ne faisait rien pour les en empêcher.

Une fois arrivés à la gare de destination, après avoir pris deux trains TGV et un métro, Maple et son frère se dirigèrent vers un restaurant pour déjeuner avant de se rendre à leur rendez-vous en milieu d'après-midi au CHU Saint Pierre. Ils firent une halte à l'hôtel où ils passeraient la nuit suivante pour se changer, laissant leur jeans et t-shirt pour des tenues plus professionnelles. Maple passa une robe droite d'un bleu intense, Cimeon un pantalon sombre, une chemise blanche cintrée dont il laissa le col légèrement ouvert sous une veste de costume bleu marine.

Leur rendez-vous à l'hôpital se passa particulièrement bien. Maple connaissait son métier, elle se montra charmante, diplomate et pédagogue, souriant chaleureusement à certains de ces interlocuteurs la fixant avec un regard un peu trop insistant. Cimeon tint son rôle avec autant de professionnalisme, offrant des cafés et pâtisseries, des petits sacs de goodies à l'effigie de leur entreprise. Il se chargea de tout installer pour la présentation de sa sœur, connaissant chaque ligne, chaque mot, chaque virgule du dossier qu'ils avaient peaufiné pendant leur déjeuner. Il aimait bien ce rôle de second, celui qui agit dans l'ombre et qui laisse les autres capturer toute la lumière. Il était prêt, toujours prêt à intervenir s'il y avait un problème peu importe la raison. Même s'il ne se sentait pas toujours aussi efficace que les autres membres de sa famille, il savait qu'il pouvait prendre la relève ou simplement détourner l'attention de l'audience le temps qu'ils reprennent le fil de leur pensée.

A la fin de leur présentation, on leur promit de porter un intérêt tout particulier à leur proposition pour leur donner une réponse d'ici une semaine et on leur fit visiter le centre hospitalier. Ils se montrèrent le plus cordial possible, mais ils durent mettre fin à cette rencontre, étant attendu pour un tout autre rendez-vous. Malgré cette réponse plutôt positive, Maple avait l'impression qu'elle aurait pu mieux faire, elle avait vu quelques personnes de l'audience regarder leur montre, s'ennuyant sans aucune discrétion. Cimeon tenta de lui prouver le contraire, mais elle n'y porta aucune attention, déjà concentrée sur le prochain rendez-vous.

Ils traversèrent le boulevard Waterloo d'un pas pressant pour se rendre dans un parking souterrain. Maple se plaignit de ne pas avoir pu se changer pour passer une tenue plus adéquate alors qu'ils cherchaient la plaque d'immatriculation de la personne qu'ils devaient rencontrer en espérant qu'ils n'étaient pas arrivés trop tard.

— C'est celle-là, indiqua Cimeon debout à côté d'une Volkswagen blanche.

— On va pas avoir à courir dans toute la ville.

Ils patientèrent dans cette drôle d'atmosphère qu'ils connaissaient bien trop au gout de Maple. Elle n'avait pas besoin d'interroger son frère pour savoir qu'il était dans le même état qu'elle. Un léger courant électrique parcourant son échine à la simple idée de comment aller se finir cette journée.

Ils devaient empêcher l'homme qu'ils attendaient de communiquer les informations compromettantes qu'il avait en sa possession. Il devait être dans l'incapacité de transmettre ces données, peu importait la méthode que les Sylvestre allaient choisir, même si leur « collaborateur » attendait quelque chose de bien précis de leur part.

Quand ils entendirent des pas s'approcher, Maple senti le bout de ses doigts s'engourdir d'excitation, elle savait à quel point cela serait délectable et elle détestait ce sentiment, cette sensation. Quand l'homme qu'ils attendaient apparut dans le parking, il afficha un sourire qu'il voulait charmeur en découvrant Maple appuyé contre sa voiture, sourire qui disparut lorsqu'il posa le regard sur Cimeon et sa taille imposante.

— Je peux vous aider ? demanda-t-il d'une voix exagérément grave.

Cimeon lui lança un sourire amical alors que Maple indiqua à l'homme qui les envoyait. Ce dernier perdit toute consistance, il hésita à prendre ses jambes à son cou, mais préféra rester pour entendre ce qu'on avait à lui dire.