Redonner du sens

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L'idée de ces écrits m'est venue après avoir lu l'œuvre Mythologies de Roland Barthes. Dans cette œuvre, il définit le mythe comme un mode de signification, un langage, un élément culturel, historique et social, qui est appris, utilisé, réutilisé par une communauté donnée et répandu en son sein. Dans une définition plus technique, il définit le mythe comme un redoublement du signe saussurien – le signe linguistique devenant le signifiant du mythe, "la forme du mythe", qui s'adjoint à une construction complexe qu'est "le concept du mythe", son signifié, les deux formant la "signification du mythe". Par exemple, prenons le mythe de la salutation : le mot français "bonjour" ou une poignée de main en seraient des formes possibles, son concept serait alors leur construction sociale, historique ou culturelle, voire la fonction phatique qu'ils opèrent d'après Roman Jakobson, et sa signification serait ce que cela représente au sein de communautés francophones. Si l'on met de côté cette approche plus sémiologique du mythe, nous pouvons aussi comprendre que Barthes propose une analyse de sa propre époque, de ce qu'était la France. Mais il avait également pour but de décrypter les mythes que constituaient le culte bourgeois et la culture de masse, et c'est ce qui va nous intéresser ici. 

Il s'agissait d'une période faste, en plein dans les Trentes Glorieuses, ayant encore un pied dans les traditions car mai 68 n'avait pas encore eu lieu. Le bonheur ambiant de cette époque reposait encore sur la promesse du Progrès, et sur ce Nouvel Ordre Mondial qu'avait souhaité Roosevelt. Mais le monde d'aujourd'hui, que je propose de commenter à travers ces quelques pensées, est bien différent. Beaucoup ont compris que le Progrès n'était qu'une chimère, cet ordre mondial a été mis en place dans une certaine mesure et nous nous rendons compte de ses limites un peu plus tous les jours, car nous commençons à nous rendre compte que même une nation historiquement rayonnante comme la France est sur la pente descendante, et notre niveau de vie aussi. À son époque, Barthes proposait la déconstruction d'une "Norme Bourgeoise" (p.8) qui faisait encore rêver, car elle semblait encore être accessible à tout le monde, au moins en apparence. Comme Jacques Ellul l'amène dans son ouvrage Métamorphose du Bourgeois, les milieux populaires se sont eux-même "embourgeoisés", car "l'élévation du pouvoir d'achat" et "la recherche du confort matériel maximal" sont deux valeurs qui ont été assimilées même par les couches plus modestes de la population. Mais à l'inverse, aujourd'hui, même si ces valeurs semblent toujours être les principales aspirations de l'ensemble de la société et que nous vivons sûrement bien mieux que la majorité de nos ancêtres, force est de constater que ces promesses ne peuvent plus être tenues par cette norme bourgeoise.

La machine bourgeoise, capitaliste et néolibérale arrive une fois de plus à bout de souffle, et malgré le fait qu'elle ne parvient plus, autant qu'elle le faisait auparavant, à vendre sa camelote aux classes inférieures, elle semble s'efforcer à tenir la barre par l'idéologie. Après avoir déconstruit les traditions françaises pour les remplacer par des mythes factices, triviaux, libéraux et progressistes, lorsque ces mêmes mythes s'effondrent, il ne reste plus que du vide dont personne ne peut se satisfaire, plus qu'un nihilisme manifeste qui n'engrenge que confusion et égarement. Ainsi, pourquoi sommes-nous témoins aujourd'hui d'un tel retour de l'idéologie, qu'elle soit religieuse ou laïque ? Tout simplement car l'humain a besoin de donner du sens à ce qui l'entoure. Julien Rochedy, dans son œuvre L'amour et la guerre, cite Christopher Lasch : "c'est le malheur d'une vie inutile et, au fond, nihiliste, qui est la source du ressentiment et des revendications qui en découlent" (p.250). Car oui, l'humain semble avoir ce besoin viscéral de donner du sens à son environnement. Nous pourrions aller jusqu'à dire qu'il s'agirait de l'essence même de sa cognition. Par ses capacités sémiologiques, il peut ainsi interpréter et réinterpréter son environnement à sa guise, lui donner une symbolique, créer un ordre des choses. Nous, humains, sommes capables de donner du sens au monde qui nous entoure. Sans cela, la réalité ne serait pour nous qu'une masse informe de perceptions, discontinues et erratiques, car elle nous serait dictée par les lois de la nature uniquement. Nous serions alors perdus dans un instant présent animal, sans réflexivité sur notre propre condition ou sur notre passé, sans capacité d'imaginer notre futur.

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