Mythologies

Ah faut pas vieillir hein !

Mon grand-père se meurt dans une EHPAD dans des conditions déplorables. Ne marchant plus, son sang ne circule plus assez, ses artères commencent à se boucher. Ses membres inférieurs se nécrosent, on est donc sur le point de lui amputer un pied pour éviter que l'infection se propage. Dans l'engouement qu'a pris ce scandale Orpea, la parole se libère. On finit par se rendre compte, comme si ça venait tout juste d'être découvert, qu'il y a un problème dans la façon dont les personnes âgées sont traitées dans les EHPAD. Mais n'est-ce pas un problème plus général de la façon dont nous traitons les personnes âgées dans notre société ? Car finalement, ce qui arrive à mon grand-père, qui en est vraiment responsable ?

Commençons par la personne intéressée. Est-ce la faute de mon grand-père ?

L'homme est doué de raison et de conscience d'après Descartes, et possède un libre-arbitre. Ainsi chaque personne est responsable de ses actes. Personne n'a forcé mon grand-père à fumer depuis ses 14 ans, ce qui l'a bien aidé à voir ses artères se boucher 70 ans plus tard. Ayant travaillé dans le bâtiment toute sa vie, il aurait pu se rendre compte quand même que c'est bien l'activité qui maintient en bonne santé, et qu'arrivé à la retraite, il était nécessaire de conserver une certaine activité physique. "Il n'est pas d'une génération où l'on se soucie de soi" me dira-t-on, et c'est bien vrai. Comment pourrais-je alors lui reprocher de ne pas avoir cette réflexivité sur sa propre condition quand il n'a pas eu la chance de baigner dans une société de la "bienveillance" et de la "complaisance" comme moi ? Aussi, comment pourrais-je reprocher à mon grand-père, qui a commencé tâcheron et qui a bâti toute sa vie les immeubles qui m'entoure, de vouloir se reposer ? Pauvre pépé, on ne peut pas t'en vouloir... Mais si ce n'est pas lui, qui est responsable alors ?

Est-ce le personnel soignant de ces institutions ?

Mon grand-père est rentré au sein d'une EHPAD. Il n'était déjà plus capable de marcher depuis quelque temps. Et effectivement son pied était devenu rouge avant même son arrivée, mais nous l'avions emmené passer des examens la semaine d'avant, et d'après les médecins : rien à signaler... Alors s'il n'y avait rien, comment un pied peut s'être nécrosé en une semaine ? Finalement, il nous a été dit après qu'il avait effectivement des bandages qui lui avaient été appliqués pour soigner les plaies qui étaient apparues à force de ne plus marcher, mais que ces bandages n'avaient pas été changés depuis une semaine ! Faute grave de la part du personnel assurément. Comment une telle chose peut-elle arriver dans un établissement où l'on paie pour que l'on s'occupe de nos aïeux. Mais peut-on leur reprocher réellement ? Quand l'objectif principal de ces entreprises privées est la réduction des coûts pour engendrer un maximum de bénéfice, quels moyens sont donnés à ces équipes pour s'occuper au mieux de leur résident ? Quand une aide soignante doit s'occuper de dizaines de résidents, comment peut-elle prendre le temps de vérifier que tout se passe pour le mieux ? Quand nous allons visiter mon grand-père et que nous nous rendons compte qu'il ne mange pas ses repas, donc que le personnel ne prend même pas le temps de s'assurer qu'ils ont mangé convenablement et suffisamment, quelle interprétation pouvons-nous avoir de tout ça ? "Mais ils les traitent comme du bétail ! Les résidents ne sont que des numéros pour eux..." Mais demandez à n'importe qui de l'équipe, et vous verrez que les conditions de travail dans lesquelles ils exercent tous les jours sont à l'origine de tels comportements, de cette incapacité à se soucier du bien-être de leurs patients.

Mais alors, c'est la faute du responsable de l'endroit où nous avons placé mon grand-père ? Mais lui-même subit cette réduction des coûts. Pensez-vous vraiment que l'on pourrait leur en demander plus avec le peu de budget qu'on leur attribue ? Pensez-vous qu'il pourrait presser davantage le peu de personnel qu'ils ont ? Mais alors, ça viendrait d'encore plus haut ! Ce sont alors les PDG de telles entreprises, nous avons trouvé les coupables !