Amazon ou le nouveau Père Noël

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Ce matin, alors que je rentrais chez moi à pied, je passai devant le centre de tri Amazon de Noisy-Le-Grand. Je vis alors une scène presque dystopique. Plus d'une centaine de camionnettes étaient garées sur le parking de l'entrepôt, certaines le moteur allumé et prêtes à partir en livraison. Un rythme quasi-militaire, je pouvais entendre au loin un contremaître (sûrement) crier à l'aide d'un mégaphone. Il donnait la cadence à son régiment. Étant pressé, je ne pus m'attarder mais l'entrepôt était suffisamment grand pour que je puisse avoir le temps d'apercevoir, en le longeant, le départ d'une flotte entière de véhicules allant ravitailler leurs chers clients en manque de consommation.

Je continuai ma route songeur. Alors une réflexion me vint : la perversité du système auquel le géant d'Internet participait et en était un des plus grands instigateurs. Soit une analyse Marxiste de ce système, vous avez ici une lutte entre deux classes, qui à première vue, ne devraient pas combattre l'une contre l'autre. L'une, celle de la tranche la plus pauvre de la population, qui n'a d'autres choix que d'accepter n'importe quel emploi, peu importe les conditions. Ils n'ont d'autres choix que de vivre du RSA, du chômage ou d'emplois précaires tels que ceux qu'Amazon peut leur "offrir" pour de multiples et complexes raisons, je ne pourrais donc jamais leur jeter la pierre. L'autre, celle d'une classe moyenne, loin de faire partie des plus aisés, mais ils le sont suffisamment pour avoir eu cette liberté d'entreprendre, d'avoir pu lancer une activité par eux-même (souvent avec le financement d'une banque bien évidemment). Alors certes, certains d'entre eux sont devenus bourgeois grâce à leur activité, mais je ne pense pas que ce soit le cas de tout le monde. Cependant, je ne pense pas que quelqu'un qui a dû se résigner à aller travailler chez Amazon ait les moyens de "monter son petit commerce", voilà la comparaison que je voulais établir entre ces deux classes. Nous avons donc un colosse du numérique qui met en péril ces petits commerces. Et entre les deux vous avez les ex-géants de la grande distribution. (Je ne les plaindrai pas car ce fût les prédateurs dans un passé pas si lointain, donc je n'irai pas les défendre).

Nous arrivons donc au cœur du sujet. Les petits soldats d'Amazon, ceux qui préparent vos colis, vous les expédient et vous les livrent, font principalement partis de la première classe. Donc vouloir combattre Amazon reviendrait à leur faire perdre leur emploi. Et c'est là que nous constatons la perversité même de ce système. Nous avons là une lutte indirecte qui s'installe entre ces deux classes, normalement alliées. Et ceux qui en pâtissent sont ces classes moyennes d'entrepreneurs, et non pas ces nouveaux dieux que sont Jeff Bezos et autres illuminés. Un combat réellement déloyal et plus que paradoxal s'installe. Les tranches les plus pauvres de la population se mettent à se battre "pour" notre oppresseur commun, en travaillant pour eux; non pas qu'ils en soient ravis, ils n'ont pas le choix ! Et ceux qui ont encore le choix ne l'auront peut-être bientôt plus aussi si leurs entreprises ploient sous le poids de ce Goliath des temps modernes. Ce combat semble déjà perdu d'avance, car je pourrai comprendre qu'une personne ayant déjà du mal à nourrir ces enfants ne se soucient pas du malheur de "ces petits bourgeois de commerçants". De plus, nous participons tous au développement d'Amazon. Nous avons voulu appliquer la démocratie au secteur commercial, rendre tout accessible à tout le monde, en réduisant les coûts et les prix, mais aussi la qualité. La locomotive est lancée, le système est plus qu'installé et personne aujourd'hui ne serait prêt à faire machine arrière, Amazon est si pratique, si efficace, si accessible.

Mais réfléchissons deux minutes, Amazon n'est en rien la cause, ce n'est qu'un symptôme de ce système, peut-être bientôt létal. Le fond du problème est le principe même de la surconsommation. Nous avons tous été éduqués depuis des décennies à être de bons consommateurs, en nous faisant croire qu'en ayant plus, on vivrait mieux ! Saint Nicolas, qui a été détourné par ce système, en est le parfait symbole. "Qu'as-tu demandé (commandé) au Père Noël ?" demandons-nous à nos enfants aujourd'hui. "Qu'as-tu demandé à Amazon ?" demanderons-nous bientôt à nos enfants. Si demain, les gens arrêtaient de consommer, d'acheter des choses complètement inutiles, Amazon mettrait tout simplement la clé sous la porte. (Hypothétiquement, car le problème est qu'aujourd'hui Amazon commence à avoir accès aux produits de première nécessité, comme aux Etats-Unis, dont on ne saurait se passer. Et c'est de notre faute, nous avons acheté de la merde sur ce site pendant toutes ces années et nous lui en avons donné le pouvoir. Bientôt cette compagnie se transformera en Père Fouettard.)

Donc si je pouvais faire passer un message c'est : essayons de consommer moins. Je ne prône pas un ascétisme total, de retourner vivre dans la forêt, mais juste de consommer un peu moins. Enfermés dans ce fantasme collectif du capitalisme, on en oublie le principal. Ce "principal", nous en avons tous été privés lors des deux confinements que nous avons vécu les deux années passées. Il s'agit du contact humain, le fait d'être ensemble, de pouvoir se voir, d'être avec sa famille, ses amis. Et nous constatons bien aujourd'hui que ce que tout le monde souhaite réellement cette année pour Noël c'est de pouvoir se retrouver ensemble autour d'une table, non pas de s'offrir les plus beaux cadeaux. L'un n'empêche pas l'autre certes, mais aucun cadeau ne pourra jamais remplacer la présence de ceux qui vous aiment et que vous aimez. Et quand bien même vous voudriez offrir mais n'en avez pas les moyens, rien ne fait plus plaisir que quelque chose qui vient du cœur, quelque chose que vous aurez créé vous-même. 


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