Sins : Tome 2

Chapitre 78

À des centaines de kilomètres de Chang'e, loin au-dessus de la région de l'Eau-Qui-Dort, Corvo flottait dans les airs, immobile, assis en tailleur comme s'il s'était trouvé sur la terre ferme. Autour de lui flottaient quelques sphères de Mana à la surface desquelles jouaient les scènes des affrontements qui se déroulaient à Chang'e. Cependant, le regard de Corvo n'était pas posé sur ces sphères mais directement sur Chang'e, à plusieurs centaines de kilomètres de là.

"Je le savais.", dit-il avec une pointe de tristesse, "Il est le candidat idéal.", sur son visage, la culpabilité et le soulagement se disputaient le premier rôle.

Une brise passa, laissant intouchés les cheveux et les vêtements éthérés de Corvo, et une cape noire se dessina contre le ciel bleu. Le nouvel arrivant suivit le regard du Gardien de la Connaissance et demeura silencieux quelques instants tandis que son visage, partiellement caché dans les replis de sa longue cape, se transformait peu à peu sous les traits de la surprise.

"Corvo...", dit-il dans un souffle.

"Alors même toi tu es capable de ressentir cette émotion ?", répondit ce dernier d'une voix neutre.

"Tu ne peux pas faire ça. Le pacte que nous avons passés avant l'ouverture de la Boite de Pandore nous interdit d'intervenir."

"Tu te trompes. Ce n'est pas exactement ce que disait le pacte que nous avons passés.", répondit Corvo en se tournant vers Fate.

Ce dernier resta le fixer quelques instants, étudiant son expression.

"Tu serais prêts à aller jusque-là ?", demanda Fate en étrécissant des yeux que l'on devinait sous les ombres de sa cape.

"La roue ne s'arrêtera jamais seule. Je dois extraire quelqu'un de son mouvement."

"Sun et Dante ne te laisseront jamais faire."

Corvo laissa échapper un rictus court, "Même si tu allais les avertir dès maintenant il serait déjà trop tard. Tu devrais bien t'en rendre compte maintenant que tu as compris mes intentions. Tu ne peux pas voir les fils se tisser et s'entremêler ?"

Fate marqua une pause, son regard perçant la distance pour se poser sur Chang'e et ses nombreux occupants.

"Je ne peux plus voir son destin...", avoua-t-il dans un souffle.

"Exactement. Il est déjà trop tard. Le destin s'est mis en branle. Je n'ai encore rien fait mais le mouvement de la roue a déjà commencé à s'adapter."

Fate baissa à nouveau les yeux vers Corvo qui était toujours assis en tailleur au milieu du ciel.

"Sun et Dante avaient raison. Tu as beau être devenu le Gardien de la Connaissance de l'Humanité, tu n'en restes pas moins un Humain avant tout."

"Crois-moi, j'ai cessé d'être un Homme il y a bien longtemps."

"Et pourtant, tes actions ne sont pas celles d'un Gardien de la Connaissance."

"Elles te dérangent ? Mes actions ?", lui demanda Corvo en balayant des yeux les sphères de Mana qui jouaient devant lui les scènes qui se déroulaient à Chang'e.

"Je ne suis que l'incarnation du Destin, je ne suis pas là pour juger de ce qui en découlera. Si le destin change, alors il changera. Mais changera-t-il ? Tu peux extraire quelqu'un à la roue, ça n'implique pas pour autant qu'elle changera sa course ou s'arrêtera.", répondit Fate avant d'hésiter un instant, puis de reprendre finalement, "Tes actions soulèvent en revanche des questions que je ne m'étais encore jamais posées. J'ignorais qu'il était possible de changer le destin. Si tu y parviens, ce sera une grande première pour moi. Mais cette possibilité me pousse à me demander... S'il peut être changé, le Destin est-il vraiment le Destin ?", la voix de Fate était calme mais, sous les ombres de sa cape, ses yeux tremblèrent.