L'Impératrice déchue

Chapitre I

"D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais pu vivre comme je l'entendais. Mais aujourd'hui, c'est différent. Aujourd'hui, rien ni personne ne détient d'ordres sur celle que je suis."

Dans un passé indéterminé

29 Janvier

C'est le jour où je suis arrivée à l'orphelinat. J'avais quatre ans quand cela est arrivé. Déjà à cette époque, on peut dire que je n'étais pas appréciée. Car même mes parents biologiques m'ont laissée me débrouiller toute seule. Je ne sais même plus à quoi ils ressemblent, ni même s'il se cache une raison valable derrière mon abandon. Après tout, peut-être n'étais-je qu'un poids pour eux. Peut-être qu'ils m'aimaient, et qu'ils n'avaient d'autres choix que de m'abandonner. J'avouerai sans hésitation que cela m'est bien égal. Après tout, on raconte que l'on ne se souvient que de ce à quoi nous sommes accrochés. Peut-être qu'ils m'aimaient, oui. Mais cela n'était sans doute pas réciproque.

1er Février

Âgée de sept ans, l'insouciance me gagnait. J'accordais déjà une grande importance à ma liberté. On pourrait voir la liberté comme une opposition à la notion d'enfermement ou encore de séquestration. Il n'y avait donc pas pire endroit, pour moi, qu'un orphelinat. J'ai toujours voulu m'exprimer et agir selon mes valeurs, besoins et désirs. En étant libre, cela m'aurais permit de faire mes propres choix. Pourtant, qu'ils soient simples ou complexes, je n'ai jamais pu agir de ma propre volonté. Tous mes faits et gestes n'étaient que contrôlés. Moi comme tous les autres enfants de l'orphelinat, nous n'étions que des pantins. Mais cela semblait ne déplaire qu'à moi. Ils n'avaient qu'à se faire exploiter s'ils le voulaient. Ce style de vie n'était pas fait pour moi.

Il y avait bien un autre enfant qui ne supportait pas ce manque de liberté. Celui-ci était, cependant, trop tendre pour tenter de s'échapper. Mais n'oublions pas que j'étais là. Le convaincre de partir n'était pas difficile. A vrai dire, je connaissais les risques, m'étant déjà enfuie une première fois. Malheureusement, derrière la bonne réputation que garde cet orphelinat, se cache en réalité un traitement cruel à l'égard des enfants. Lorsque je me suis faite attrapée, j'ai d'abord pensé que je gagnerai quelques coups de fouets, ou que l'on m'empêcherait de manger pendant une journée complète. Mais rien de tout cela n'est arrivé. On m'a prise de force, et je n'ai pas vu la lumière pendant trois jours. Durant ce temps imparti, j'étais enfermée. Pour la première fois, j'avais compris ce que signifiait réellement que d'être séquestrée. Mais ce n'est pas pour autant que j'ai développé une phobie des armoires. Cela n'a fait que développer mon envie de m'enfuir. Mais cette fois, je comptais bien partir accompagnée.

-Shelby, retire tout de suite ce que tu as dit... On pourrait nous entendre.

-Je comprends que tu ne sois pas rassuré. Mais, Silver, je ne pourrai pas vivre sans toi derrière ces murs. Après tout, c'est grâce à toi que je garde en moi une certaine sagesse.

-Tu me promets que, si on sort d'ici, on ne se quittera plus jamais ?

-Bien sûr que je te le promets !

Silver était mon seul et unique ami, mon meilleur ami. Il était âgé d'un an de moins que moi. Peut-être que si je lui avais parlé des risques encourus, nous n'aurions pas été séparés.

2 Février

-Ce soir sera le début d'une nouvelle vie. Tu es prêt ?

-Tant que tu es là, je serais prêt à tout.

Nous étions cachés sous la couverture de mon lit, lorsque cette discussion a eu lieu. L'instant suivant, les cloches retentirent. Cela indiquait l'heure du repas. Etant un vendredi, ce fût l'opportunité parfaite, pour nous, de nous enfuir. Car en ce jour de la semaine, les enfants avaient le droit de sortir dans la cour après le dîner. De plus, nous avions le droit de sortir de table sans en demander l'autorisation. Ainsi, nous nous sommes pressés de manger. Afin de ne pas partir comme des sauvages, je me suis dirigée vers la directrice pour lui adresser quelques mots.

-Madame ! Vous pourrez remercier la cantinière pour ce délicieux repas, car c'était vraiment bon !

Pour tout vous dire, ce fût plus infâme que n'importe quel autre jour. Silver et moi sommes ainsi allés dans la cour. Le plan était parfait : Il nous suffisait simplement de traverser le grillage, que j'avais précieusement découper pour ce jour. Pour plus de sécurité, j'ai laissé passé Silver en premier. Personne n'avait découvert notre supercherie. Du moins, c'est ce que je pensais. Car après avoir traversé le grillage, une surveillante se trouvait devant moi, Silver dans les bras. Une fois de plus, j'avais échoué.

7 Février

Une fois de plus, je me suis retrouvée enfermée dans cette sinistre armoire. Non pas trois jours, mais cinq à être coincée sans eau ni nourriture. Comme si cela suffisait à me faire peur. Après être sortie, je ne pensais qu'à une chose : Retrouver Silver. Ils avaient sans doute décidé de lui faire subir la même chose qu'à moi, mais dans une autre pièce. Il était bien plus frêle et fragile que je ne l'étais. Penser à ce qu'il a pu ressentir était donc très difficile pour moi. Je me souviens avoir fouillé chaque recoin de l'orphelinat afin de le retrouver. Pourtant rien n'y faisait, Silver était introuvable. C'est d'abord ce que je me suis dit. Mais l'existence d'une pièce interdite m'est soudainement revenue à l'esprit. Bien que cela me semblait impossible qu'il s'y trouve, ma curiosité l'emporta. Lorsque je me suis retrouvée face à la porte, il n'y avait personne. J'étais totalement seule face à une porte entre-ouverte. Pourtant, je n'avais pas pensé que cela pouvait être étrange. Alors j'ai poussé la porte pour rentrer dans cette chambre dite "interdite". J'aurai préféré croire qu'il avait disparu plutôt que d'entrer dans cette pièce. Ce jour là, j'ai vu s'effondrer ma vie. Une odeur métallique, à la fois douce et sèche, frôlait mes narines. Mais plus je m'approchais, plus cette odeur devenait acide et crue. Je n'y voyais rien. Je me suis alors frottée à chacun des murs en quête d'un interrupteur, jusqu'à le trouver. J'y voyais plus clair. Mais pourquoi étais-je aussi curieuse ? Pourquoi ne pouvais-je pas naître comme Silver ? En fait, je me retire cette dernière question de la tête. J'aurai sans doute fini comme lui, si je lui avais ressemblé. Peut-être que c'est simplement la faute de mon entêtement. Ce doit être ça.

Sinon, jamais je n'aurais décidé de m'enfuir, jamais je n'aurais entraîné Silver dans cette histoire...Et jamais je n'aurais vu son corps gisant dans une marre de sang.

-Tu as compris maintenant ? Tu n'as plus aucun moyen de t'enfuir.

La directrice avait raison. C'était de ma faute si Silver avait été tué. C'est à partir de ce moment là que, d'une petite fille à la recherche de liberté, je n'ai plus jamais tenté quoi que ce soit.