Chapitre 1

4 0 0
                                    

Une criminelle. Enfin, une pirate. Enfin, pour être tout à fait clair, une mousse. Voilà ce qu'elle était. George était née sur le navire la Terreur, y avait vécu quelques années, entourée de sa famille. Même si des années en piraterie avaient son lot de malheur, il ne lui semblait pas qu'elle ait été plus malheureuse que l'année de ses vingt-trois ans. Car la mer ne prédit pas ce qu'elle donne, comme ce qu'elle prend.

Ce jour-là, leur capitaine avait jeté son dévolu sur un navire espagnol transportant des marchandises venant du Nouveau continent. Déjà bien vieux, Sam, vieux loup de mer, n'avait pas su sentir l'humidité dans l'air, la promesse menaçante des nuages s'amoncelant au-dessus d'eux. La tempête avait éclaté en plein abordage. D'une violence inouïe, elle avait griffé les deux navires de plusieurs vagues hautes comme dix hommes. La pluie, perçante et gênante, avait rendu tous les combats compliqués, glissants. Les hommes, sans distinction de nationalité étaient tombés les uns après les autres.

Finalement, la poignée d'eux restants s'était abritée sur le navire espagnol : s'il était resté des pirates sur la Terreur, ils avaient été balancés par-dessus bord. Jamais de mémoire de marin, n'avait-on vu une telle tempête ! A croire qu'ils avaient fait, par leur existence, un affront insupportable aux dieux de l'océan.

Les avides d'aventure et de légende, devant le conteur, des siècles plus tard, diraient dédaigneusement que c'était de la sorcellerie. Que le navire espagnol avait rapporté avec lui une malédiction inca, pour balancer tout le mal qu'il avait fait. Que les pirates payaient leur vie passée dans la débauche et le crime, dans un jugement dernier tempétueux. John, le second, avant que les deux navires ne soient brutalement séparés par un monstre de vague, avait jeté durement à la figure de la jeune fille que c'était la faute de la présence d'une femme sur le navire. Qu'elle était une créature des enfers, et que c'était du suicide de l'avoir gardée à bord. George, à ce moment-là, s'était cachée dans la cale et pétrifiée de peur, ne pouvait qu'hocher avec acharnement à ce que disait le second. Puis, alors qu'elle escaladait en tremblant les marches branlantes de l'escalier menant au pont, elle l'avait vu se faire emporter par une lame qui l'avait presque fauché en deux. Malgré ce qu'il venait de lui dire, elle hurla d'horreur et de tristesse. Puis elle se recroquevilla sur elle-même et sa douleur, laissant ses yeux ouverts, grand ouverts pour tenter d'apercevoir le moindre membre de sa famille, sans toutefois savoir si elle le voulait vraiment.

Mais bientôt, comme dit plus tôt, elle fut seule sur le pont, seule sur la Terreur.

Au loin, une explosion aveuglante la prévint que le navire espagnole venait de collapser, lui et ses survivants, la laissant seule sur l'océan déchaîné.

C'est ainsi que George devint la première femme pirate à être à la fois mousse et capitaine d'un des plus illustres navires de l'époque, la Terreur. La capitaine commença par essayer de survivre à la tempête, en se calfeutrant dans la cale entourée de ressources.

Pendant ce temps, maintenant que nous avons posé l'origine de son histoire, les racines, finalement, de la légende qu'elle allait devenir, racines non moins cruelles et incroyables que le reste, d'ailleurs, essayons de comprendre un peu plus George.

George était le fruit d'un amour partagé entre Clever, le charpentier, et Rosa-marie, la fille d'un homme-phare perdu sur une île mourante.

Lors d'une escale, ces deux-là étaient tombés absolument fous amoureux l'un de l'autre, fous comme on peut l'être d'une vie totalement opposée à la sienne, fous comme on peut l'être le temps d'une nuit, au moins. Et cette nuit-là, George fut conçue. En s'échappant de l'emprise de son père, Rosa-Marie vécut quelques mois sur la Terreur, assez, au moins, pour donner naissance à George.

GeorgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant