Chapitre 2

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Elle commença par la cabine du capitaine, pièce qu'elle découvrait, bien sûr. Une chaude lumière passait à travers les vitraux et illuminait le bureau central. C'était là où Sam calculait les vents, les marées, les tempêtes et là où il recherchait les trésors, penché sur sa carte. Du moins, d'après ce que Bersque disait, en gueulant qu'il ne fallait pas être gratte-papier pour être capitaine. Deux ou trois fois, cette tête de nœud avait essayé de lancer une mutinerie, sans que Sam ne le sache.

George passa lentement les doigts sur le bois usé et abîmé du bureau. Il ressemblait à un vieux cachalot fatigué, aux cicatrices apparentes. Lorsqu'on s'asseyait dans le fauteuil et qu'on tournait légèrement la tête à droite, on voyait tout l'horizon en face de soi, toutes les trajectoires possibles de la Terreur. La mer s'étendait à perte de vue, ruisselante d'éclats. Ses doigts de pieds s'enfonçaient dans les poils d'un épais tapis cramoisi. Sur la pointe des pieds, après avoir fouillé dans les tiroirs, les papelards et ect, elle referma doucement la porte. Suite à son départ, les meubles craquèrent légèrement, surpris par cette présence mi-effrayée, mi-émerveillée.

Avec minutie, elle explora chaque centimètre carré du bateau pour se l'approprier petit à petit, comprendre son bois, ses faiblesses, les différentes énergies.

La cuisine, par exemple, avait cette énergie très dense, très odorante et forte, celle des côtes portuaires qui s'animent et s'agitent silencieusement à l'aube.

Les ponts lui faisaient penser à un espace pour danser, comme elle avait vu les pirates s'entrelacer, s'entrecroiser, en fonction des tâches qui leur étaient données. Imaginer gérer tout ça alors qu'elle était seule la mettait face à un abîme vertigineux, toutefois, elle refusait de s'y précipiter.

Le bureau avait une énergie de vieille librairie abandonnée, chaleureuse et solenelle.

Elle connaissait déjà bien les cales sombres, parfois accueillantes, séparées en deux espaces.

Le faux-pont, là où dorment les marins, était aussi très silencieux, comme une ville fantôme. Seuls subsistaient des hamacs branlants et quelques affaires, comme des munitions, des provisions, des bouts de bois gravés. Clever tenait un journal, aussi.

Pendant ces explorations, la Terreur dérivait lentement en fonction du vent, mais George s'en moquait. Elle avait de grandes chances de mourir, de toute façon, et elle avait passé toute sa vie sur le navire sans le connaitre, alors pourtant qu'elle l'aimait. Car la Terreur l'avait protégée, contre la tempête. Car les cales de la Terreur l'avait protégée, contre les hommes. Car la Terreur l'avait protégée toutes ces années.

Passé quelques jours, après qu'elle considérat qu'elle avait rattrapé le temps perdu, elle fit la liste des provisions. Elle avait de quoi manger pendant au moins trois mois, et la tempête avait rempli les tonneaux, anciennement remplis de poudre, d'eau à rabord ; il restait tout de même quelques tonneaux de poudres, dans les cales.

Lorsqu'elle eut ses règles, fait qu'elle avait dû cacher jalousement aux marins dès ses treize ans, sans quoi ils l'auraient jeté par-dessus bord, elle se mit simplement nue et profita du soleil sur son corps.

Ici, alors que seule la mer et le soleil était témoin, elle s'en rendit compte d'à quel point elle s'en était éloigné, à quel point il était devenu faux, sous le regard des pirates.

Son corps était celui d'un animal. Il avait des muscles, des os, de la chair, des poils, une peau. Elle avait un menton, un ventre, un bassin, des genoux, des tibias, des doigts de pieds.

Elle les agita pensivement, toujours allongée.

La solitude lui faisait du bien. Elle se promena sur le bateau. Elle lut le journal de son père, alla observer le visage de sa mère à la proue. C'était Clever qui lui avait appris à lire discrètement, lorsqu'elle était jeune, pour qu'elle puisse un jour peut-être lire ce journal, s'il en avait le courage. Manifestement, il ne l'avait pas eu. Même si elle sentait son visage brûler petit à petit sous le soleil, elle acceptait avec plaisir cette brûlure, cette tribune payée à la nature.

GeorgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant