Chapitre 2

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Gotham - 1983

En ce jour d'Octobre 1983, le ciel noir et menaçant était si bas qu'il semblait engloutir le haut des grattes-ciel du quartier de Wall Street. Cela faisait des semaines que le soleil ne s'était pas montré. La pluie était le quotidien des habitants de Gotham, tantôt battante, tantôt fine et désagréable. A en croire les anciens, cet automne était l'un des plus pluvieux que la ville ait connu. L'humidité s'insinuant jusque dans les appartements les moins bien isolés.

Dans le cœur de Rose aussi, il pleuvait régulièrement. La jeune femme ayant péniblement reconstruit une vie qu'elle souhaitait comblée et épanouie depuis les évènements tragiques de l'hiver 1981. Deux années. Deux longues années à composer avec l'absence d'Arthur dans sa vie. Juste après le meurtre de Murray Franklin, les médias s'étaient emparés de l'affaire Fleck, flairant la poule aux œufs d'or afin de soutirer un maximum d'argent en surfant sur les émotions. Beaucoup avaient dépeint cet homme, nouvellement renommé le Joker, comme un monstre sanguinaire et sans pitié. Rose avait eu l'impression d'entendre à nouveau les mythes sur les créatures légendaires de son enfance tant les adjectifs utilisés étaient les mêmes.

Le peuple, en revanche, avait entendu le message de désespoir d'Arthur Fleck, cet homme brisé par la société, bien caché sous son armure de maquillage et de vêtements colorés. Joker avait été le symbole de la souffrance ce soir là, et beaucoup y avaient entendu un écho à leur propre malheur.

Rose avait passé des jours et des jours à regarder les flash infos, les émissions spéciales, les directs ... Tout en sachant qu'Arthur était désormais interné à l'asile d'Arkham et qu'elle ne le reverrait jamais. "De toute façon, il t'a largué." se rappelait-elle amèrement. Et pourtant, malgré tout, elle ne parvenait pas à décrocher les yeux de son poste de télévision. C'était le seul moyen de garder un lien avec lui. Elle en avait perdu le sommeil, l'appétit et l'envie de sortir. La scène du meurtre de Murray passée en boucle sur les chaînes d'informations avait fini par s'imprimer sur sa rétine. Elle aurait pu la décrire à l'aveugle et citer le discours d'Arthur mot pour mot. Le pire dans tout cela, c'est qu'elle n'arrivait plus à s'enlever de l'esprit l'expression du visage de l'homme qu'elle aimait. Le regard voilé de larmes et de colère juste avant qu'il ne tire sur le présentateur télé. "Si seulement j'avais pu l'aider ...".

En arrêt de travail suite à ce jour funeste de la naissance du Joker, Rose passait donc ses journées sur son canapé, devant la télévision qui l'abrutissait à repasser en boucle les mêmes images. Pleurer jusqu'à s'endormir d'épuisement. Se réveiller et recommencer. Voilà l'emploi du temps qui était le sien.

" - Bon, ça suffit !" Avait un jour décrété Ruby, l'inquiétude pour son amie l'ayant poussée à faire irruption dans l'appartement.

" - Comment ça ?

- "Comment ça ?" ... Regarde toi, Rose. Tu es enfermée dans le noir à regarder en boucle ces stupides émissions qui ne t'apprennent rien de nouveau. Tu ne te laves plus, tu ne sors plus et tu manges à peine. Tu as vu ta tête ? Est ce que tu dors au moins ?"

Rose s'était recroquevillée au fond de son canapé, ses petites mains moites serraient les pans du plaid qu'elle avait enroulé autour de son corps en guise de protection. Avec ses cheveux emmêlés, les cernes noires sous ses yeux et son teint pâle, Ruby aurait juré voir une petite fille perdue dans l'obscurité.

" - Allez, Rose s'il te plaît. Que dirais tu de prendre une douche bien chaude avant de faire une balade au parc avec moi ?

- Non." Avait répondu fermement la jeune femme.

" - Je sais que cela ne te fait absolument pas envie. Mais ça va te permettre de prendre un peu l'air et voir autre chose."

Rose ne répondit pas. Devant le mutisme de sa meilleure amie, et le ventre noué d'inquiétude, Ruby avait alors tenté d'éteindre la télévision.

Another LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant