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Huit ans plus tôt

Je suis réveillée en sursaut par l'entrée précipitée et bruyante de quelqu'un dans ma chambre. La faible lumière qui filtre à travers les volets ne me permet pas

immédiatement de distinguer la silhouette qui s'approche de mon lit. Lorsque je reconnais le visage inquiet de ma mère, je comprends immédiatement l'urgence de la situation.

La peur me saisit quand elle agrippe mon bras et me traîne jusqu'à la penderie. Là, elle me fait signe d'y entrer. Plongée dans l'obscurité totale parmi mes robes et vestes, je tremble. Elle aussi tremble alors qu'elle me serre contre elle, de plus en plus fort, comme si cela pouvait me protéger du danger.

Mais il est là, dans les escaliers.

Le grincement du bois s'intensifie. J'imagine que les monstres qui nous traquent se rapprochent peu à peu. Alors mes mains se serrent dans celles de ma mère pour trouver un peu de réconfort. Je retiens mes larmes, mais à l'intérieur de moi, c'est une cascade de terreur et un torrent de questions qui cohabitent.

Qui sont ces gens qui se baladent dans notre maison ? Que cherchent-ils ?

Pourquoi maman n'appelle-t-elle pas la police ? Je veux lui demander, mais je n'y arrive pas. Les mots restent coincés dans ma gorge. Et puis maman donne trois petits coups dans le fond de l'armoire. Son geste active l'ouverture d'une porte dérobée. Elle me fait signe d'entrer pour mieux nous cacher.

Je suis dans la partie de cache-cache la plus angoissante de toute ma vie.

J'ai tellement de mal à la suivre qu'elle tire plus fort sur mon bras. Mais mes jambes sont molles, elles refusent d'obéir à mon cerveau. Pourtant je sais que je n'ai pas le choix : question de vie ou de mort.

Nous débouchons sur une pièce sombre, une cave voûtée, en pierre. Tout est lugubre, glacial et une forte odeur d'humidité flotte dans l'air. La seule source de lumière se trouve être une petite veilleuse ronde qui projette des ombres inquiétantes sur les murs. À côté d'elle, une bouteille de vin abandonnée, témoin que cet endroit a déjà servi par le passé.

Pourquoi ma chambre donne-t-elle sur ce souterrain ? J'ai mal au ventre, j'ai envie de vomir.

Maman est tendue : ses épaules sont crispées et son visage a perdu ses dernières couleurs. Ses yeux scrutent les alentours frénétiquement, puis elle lâche mon avant-bras, ne laissant plus qu'une sensation de vide me parcourir.

Maman allume la bougie d'une lanterne cuivrée à l'aide d'une allumette, ce qui dévoile complètement son visage. Elle a l'air d'avoir moins peur et ça m'apaise instantanément. Elle se penche, s'accroupit et me fixe.

—Sasha, écoute-moi bien. Tu vas devoir rester ici, m'or‐ donne-t-elle tout en maintenant fermement mes épaules.

Elle esquisse un sourire aussi doux qu'un bonbon à la fraise et me caresse tendrement la tête.

Ici ? Sans toi ? Non, non, non !

Je veux le lui crier, mais je n'y arrive pas ! Encore une fois, je reste muette sans comprendre pourquoi.

—Tu appelleras Clara demain matin pour qu'elle puisse te récupérer et tu files à l'arrêt de bus 83 sans t'arrêter ni te retourner, articule-t-elle.

Elle sort d'un sac à dos posé sur le sol bosselé un petit télé‐ phone à rabat et me le tend. Nous nous sommes toujours contentées d'utiliser nos fixes ou des cabines téléphoniques. Je n'ai donc jamais eu l'occasion de me servir d'un appareil comme celui-ci.

Je racle ma gorge pour faire vibrer mes cordes vocales et retrouver l'usage de la parole.

—Et toi, maman, où vas-tu ? m'inquiété-je.

—Ne te fais pas de soucis pour moi, Sasha. Je te promets de tout t'expliquer quand je reviendrai te chercher. Ne pas se faire du souci pour la seule personne qui compte à nos yeux, c'est impossible, mais je dois lui faire confiance. Elle viendra me chercher, elle me retrouvera, j'en suis sûre.

—Quand ?

—Dans une semaine environ. Mais Sasha, tu ne dois sous aucun prétexte parler à la police ou à qui que ce soit d'autre de ce qui vient de se passer. N'essaie pas de me joindre et dis bien à Clara que c'est une urgence. Elle est préparée à cette éventualité, elle comprendra.

Elle passe sa main sur mon visage. J'inspire une dernière fois son parfum, mélange de lavande et de miel. Au même instant, le fond de sa poche se met à vibrer. Elle me lance un regard inquiet et affolé, mais se résout à répondre avant que l'interlocuteur ne tombe sur sa boîte vocale.

—Oui, ils sont là.

—...

—Je savais que ça arriverait un jour. Ils ne savent pas à quoi elle ressemble.

—...

—Elle n'a plus son odeur, j'ai fait le nécessaire il y a bien longtemps et tu le sais.

—...

—Oui, oui, j'efface la mienne sur sa peau.

Le téléphone toujours maintenu entre son oreille et son épaule, elle extirpe une bouteille du sac à dos, puis verse un peu d'eau sur le sol terreux.

—C'est une personne de confiance qui va la récupérer. Merci pour ton aide.

De sa main libre, elle récupère la boue qu'elle vient de fabriquer, puis l'écrase sur ma peau nue à plusieurs endroits. Beurk ! L'odeur n'est vraiment pas terrible, la mixture me gratte et me pique comme un désinfectant qu'on met sur une plaie ouverte.

Après l'application du mélange, elle se lève, embrasse mon front.

Elle va me quitter.

Puis elle se retourne et la dernière chose que je vois d'elle ce soir-là, ce sont ses longs cheveux roux qui descendent jusqu'aux fesses.

Je me recroqueville sur moi-même et berce mon propre corps.

Elle doit juste régler un truc et elle reviendra me chercher. C'est sûr, elle ne me laissera jamais toute seule, je n'ai que 12 ans. 


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SORTIE LIBRAIRIE LE 15 OCTOBRE 2024

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La Meute Blanche [HEA EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant