Sasha
— Maman !
Mon propre hurlement m'a réveillée en sursaut. Le souvenir de cette soirée hante mes cauchemars depuis huit ans mainte‐ nant. Mon cerveau n'a jamais effacé cet épisode traumatique de mon enfance.
Le regard de ma mère est figé dans le cadre sur la table de chevet et c'est tout ce qu'il me reste d'elle ; tout a été réduit en cendres dans notre maison quelques jours après cette fameuse soirée du 12 juin. Cette photo, je la chéris chaque soir, lui souhaite une belle nuit, la serre contre moi quand je me sens triste, tout en repensant à la promesse que ma mère n'a jamais su tenir.
Je me souviens de son petit nez qui se plissait quand elle riait ou encore le léger haussement de ses sourcils lorsqu'elle prononçait un vilain mensonge. Tout ça me manque : elle me manque.
Quand Clara a su pour l'incendie, elle a pris une grande inspiration. Elle a retenu sa propre douleur, et comme un sparadrap que l'on arrache d'un coup sec, elle m'a annoncé la triste nouvelle sans détour, consciente des ravages que ses mots causeraient en moi. La réalité m'a frappée comme une déchirure violente et, dans un cri de désespoir, je me suis effondrée au sol. J'ai laissé échapper toute la peine, la rage et la tristesse qui me submergeaient. Mon corps s'est vidé de toute son énergie, noyé dans un flot de larmes.
J'en ai longtemps voulu à Clara, ma tutrice, d'avoir manqué de sensibilité lors de cette révélation dévastatrice. Pourtant, au fil du temps, dans cette souffrance qui semblait éternelle, j'ai fini par réaliser que l'espoir était la pire des tortures. C'était me maintenir dans le passé. L'acceptation brutale de la réalité m'a libérée d'une attente douloureuse qui m'aurait empêchée d'avancer.
Mais aujourd'hui, c'est mon vingtième anniversaire et je n'ai aucune envie de le ruiner à cause de ces mêmes images qui tournent en boucle dans ma tête.
Assise sur un lit défait, mon oreiller négligemment jeté au sol, je souffle sur ma frange rousse pour dégager ma vue. Le réveil affiche 9 h 03 et la lumière filtre à travers les interstices de mes volets en bois.
Cette journée marque également l'obtention de mon diplôme de fin d'année en photographie, un moment symbolique qui ouvre les portes de mon indépendance. C'est le moment pour moi de tracer ma voie, de trouver un emploi et de vivre ma propre vie.
Clara et moi savions que ce jour arriverait bien plus vite que nous ne l'aurions imaginé. Elle a été pour moi comme une mère. Elle m'a guidée, élevée, m'a encouragée, et a contribué à forger la personne que je suis aujourd'hui, même si je n'ai pas été facile à gérer après la perte de tous mes repères.
—Bonjour, Sasha ! Je t'ai préparé un petit quelque chose. Comme tous les matins, la belle brune est là, derrière les fourneaux, les mains gantées, prête à sortir du four les cupcakes de la journée. C'est la meilleure et la plus connue des pâtissières du village breton dans lequel nous vivons, à quelques kilomètres de l'océan.
Je m'installe sur la chaise et commence à dévorer mon petit-déjeuner, appréciant le goût sucré du jus de fruits fraîchement préparé. Clara dépose une bougie sur l'un des petits gâteaux qu'elle a pris le temps de garnir d'un nuage de crème au citron : j'adore cette odeur qui embaume la cuisine tous les matins depuis huit ans.
—Joyeux anniversaire, chuchote-t-elle à mon oreille. Elle place le délicieux dessert sur la table et dépose son menton sur mon épaule en caressant le haut de mon dos, comme pour me réchauffer le cœur.
—Merci, Clara.
Je lui offre un grand sourire matinal, souffle en veillant à faire un vœu – que je ne dévoilerai pas si je veux qu'il se réalise – avant de croquer dans la merveilleuse pâte citronnée. C'est tout simplement parfait. Les saveurs explosent et ravissent mon palais.
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La Meute Blanche [HEA EDITION]
Kurt AdamSORTIE LIBRAIRIE 15 OCTOBRE 2024. DERRIÈRE LES PLUS LOURDS SECRETS, SE CACHE PARFOIS UNE DESTINÉE... À l'aube de ses vingt ans, Sasha s'envole pour l'Irlande, résolue à percer les secrets qui l'entourent dont celui, douloureux, de la disparition de...