Prologue : La chute

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Une immense étendue épineuse de sapins ternes couvrait les landes et allaient s'arrêter sur les flancs des montagnes au loin, au nord, venant cogner contre les pythons minéraux anguleux. L'immense bois de conifères était calme, vide de toute activité humaine. Les animaux s'arrêtaient près de petites rivières qui parcouraient la gigantesque forêt, sans craindre l'intervention du plus grand des prédateurs. Tout était paisible, sans que l'Homme ne pose sa main sur ses terres encore préservées, au moins jusqu'à ce jour.

Les loups fuirent les bords de la rivière lorsque les tremblements débutèrent au milieu du bois. Ces chocs lourds venaient de deux immenses pattes, des serres d'un volatile puissant, comme celles d'une gargantuesque volaille, qui avançaient dans un vacarme sismique terrible. Ces jambes ne soutenaient pourtant pas le corps d'un aigle géant, mais celui d'une grande tour chaotique, asymétrique, qui tanguait au rythme des pas lourds et tonitruants, comme si elle était toujours sur le point de s'écrouler. Un petit groupe de corbeaux curieux, et sans doute un peu stupide, tournait autour de la tour, bien plus haute que les plus grands sapins du bois, tandis qu'elle avançait. Un des volatiles, un peu trop audacieux, approcha d'une fenêtre du toit, incrustée parmi les tuiles rougeâtres. Il vint picorer les carreaux, sous les yeux de ses camarades déjà plus prudents que lui.

La fenêtre s'ouvrit brusquement et de petits mains, sèches et ridées, vinrent secouer un balai pour chasser les corbeaux. Une vieille femme, aux longs cheveux grisonnants et à l'ample robe rapiécée, donna un grand coup de balais sur la tête du corbeau, qui s'éloigna vivement de la vitre pour rejoindre le reste de son groupe, sous les yeux de la vieillarde en furie.

- 'Vous avisez pas de venir attaquer mes fenêtres, bande d'idiots à plumes ! lança-t-elle en secouant le poing devant les volatiles, avant de refermer la fenêtre. Si même les oiseaux ne respectent plus leurs aînés, où va le monde ?

Une fois la fenêtre fermée, elle sauta du tabouret sur lequel elle s'était hissée pour pouvoir atteindre la vitre, trop petite pour pouvoir y accéder autrement. Elle se trouvait au sommet de la tour sur pattes, dans une grande pièce plutôt circulaire et haute de plafond, située juste en dessous du toit. L'endroit était inondé d'étagère pleines de grimoires poussiéreux, de tables remplies de fioles en tout genre ainsi que de coffres, caisses et autres rangements fermés, empilés dans tous les coins. La vieille femme posa son balai à même le mur avant d'épousseter sa vieille robe rapiécée plus d'une fois, dans un soupir satisfait, avant de s'avancer pour agripper un des livres que la salle contenait. Elle fut cependant interrompue par le cri d'un jeune garçon, provenant des étages d'en-dessous, qui la fit sursauter et manqua de la faire tomber de surprise.

- MAMAAAN ! hurla la voix. On est bientôt arrivés ? Je m'ennuie.

- Qu'est-ce que j'en sais, moi ? répondit-elle en s'époumonant, après s'être reprie. On nous a juste indiqué que ça avait chuté pas loin d'ici, alors on cherchera le temps qui faudra.

Le bruit frénétique des marches gravies se mit à retentir tandis que le jeune garçon hurleur montait les étages de la tour. Il finit par atteindre lui aussi le sommet, sous le toit, pour y rejoindre la vieille femme. Vêtu d'un pourpoint de cuir sombre, il avait le dos couvert d'une peau de bête touffue, un véritable nuage de fourrure noir, qui se confondait avec ses courts cheveux en pétards. Ses yeux verts pétillants se posèrent sur la vieillarde qui, elle, le fusillait d'un regard indigo exaspéré.

- 'Y a jamais rien à faire, dans cette tour à la noix, dit-il en donnant un coup de pied dans le vide, les mains dans les poches de son ample pantalon.

- Tu sortiras quand on sera arrivés, pas avant. La larme de Dieu est tombée dans les parages, si on en croit les habitants du petit bled dans lequel on a dormi. Ça n'arrive qu'une fois tous les siècles, alors il ne faut absolument pas la rater, c'est compris ? Ce n'est pas le moment de faire l'idiot, Ripper !

La Larme de DieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant