Chapitre 4 : Typhon

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Kirubin était perdue, elle nageait dans la brume. Elle avait vite compris qu'elle avait sombré dans l'inconscience, dans l'obscurité de son propre esprit. Son bras droit manquait, les événements récents lui revinrent et elle se rappela vite qu'elle l'avait perdu. Elle tenait son épaule, comme pour serrer ce membre disparu, malgré l'absence totale de douleur. Il n'y avait rien, aucun horizon, aucun espace délimité, seulement les ténèbres absolues qui s'étendaient aussi loin que ses yeux pouvaient le voir, dans la purée de pois de son inconscience.

- C'est ma tête, ça ? se dit-elle à haute voix. Je savais que c'était pas très rempli, mais pas à ce point...

Chacun de ses pas dans cette sombre étendue infinie résonnait dans le vide obscur, sans jamais revenir ou heurter un mur. Kirubin marchait, errait, sans savoir où aller ni quoi voir. Elle cherchait un moyen de se réveiller, pour pouvoir agir, sauver Adam et se sauver elle-même de ces exorcistes qu'ils avaient tenté de combattre, sans succès. Elle s'en voulait d'avoir été si inutile, si faible, d'avoir été trop confiante en ses capacités et, ainsi, d'avoir perdu son bras, à cause de cet excès d'assurance.

Son errance dans le vide commençait à la fatiguer, elle avait l'impression que cela faisait des jours qu'elle avançait dans le noir, sans rien trouver, sa notion du temps se tordait dans toutes les directions. Lorsque finalement, tout son corps frissonna avant de se figer : son front la démangea d'un coup, plus fort que jamais. Elle avait l'impression que sa tête allait exploser, que son crâne allait céder tant les picotements étaient virulents. Ne voyant rien devant elle, elle se tourna lentement, pour trouver la cause de ce soudain éveil du symptôme.

Elle manqua de tomber de surprise lorsqu'elle le vit, derrière elle : un grand cercueil terne et poussiéreux, lévitant au milieu du vide, sorti de nulle part. Il était réellement apparu derrière elle en un clin d'œil, sans qu'elle comprenne pourquoi ni comment. Après tout, si elle était réellement dans son propre esprit, dans une sorte de rêve, il ne fallait pas s'attendre à croiser une quelconque logique dans les événements.

- Je rêve de cercueil, moi ? marmonna-t-elle. La seule fois où s'est arrivé, c'est quand Grisouille est mort, c'est bizarre...

Elle sursauta lorsque le cercueil se mit à trembler. Elle ressentait un effroi immense, comme si le plus grand prédateur du monde entier se trouvait là, à l'intérieur de cette ridicule boîte en bois, prêt à sortir à chaque instant pour se jeter sur elle.

Des coups sourds, comme quelqu'un en train de frapper la bière pour en sortir, se mirent à résonner de plus en plus forts, jusqu'à ce que les deux gonds du coffre ne sautent l'un après l'autre. La porte sombre, ornée d'une croix retournée, tomba sur ce qui semblait être le sol de l'infinie obscurité et provoqua un écho dans les ténèbres comme celui d'une pierre à la surface de l'eau.

Alors que son front commençait à la faire violemment souffrir, et que seul l'effroi absolu hantait ses pensées, elle ne pouvait détourner ses yeux paralysés de la haute silhouette sèche et décharnée qui se dégageait peu à peu de l'intérieur du cercueil.

La forme d'un homme, plutôt grand, aux fins muscles fatigués, s'extirpa de la vieille bière. Sa silhouette était cernée par les ténèbres et la peur qui lui obéissaient au doigt et à l'œil, virevoltant autour de lui comme autant de danseurs à ses ordres. Sa simple vue suffisait à terroriser Kirubin tandis que son front brûlait tellement qu'elle commença à sentir son bandeau s'enflammer, partir en cendre, ce qui peu à peu révélait la marque d'œil vertical sur le sommet de son visage, qui avait viré à l'écarlate.

L'abominable homme finit enfin par bondir hors de sa prison mortuaire. Il se dressa de ses deux mètres de haut face à Kirubin, avec un sourire carnassier qui brillait, malgré l'absence de lumière. Elle remarqua sur le torse de cet être, bien visible malgré les amples tissus noirs qu'il portait comme seul vêtement, une marque identique à la sienne, à la seule différence qu'elle était bien plus grande et voyante.

La Larme de DieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant