CHAPITRE I

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J'apprécie le calme éphémère qui cloisonne un instant les ténèbres du foyer. La peluche, à son habitude, chantonne un air familier qu'elle affine et complexifie par l'emploi de sonorités libres, étendues à son vaste univers musical. Nous sommes adossés au mur, son lit creusant nos empreintes, avachis contre une couverture trop confortable. Je crois m'endormir quand le tissus duveteux de son costume effleure mon épaule. Sa tempe, posée sur ma peau, il cesse de chanter.

Quelle sensation agréable que le sentir sur ma pulpe orpheline... une peau teinté de couleurs : bleu de colère, jaune de temps, blanc d'oubli, rouge d'immédiat... Des sillons de sombreur parcourent nos bras. Les miens de traces verticales ; les siens d'ellipses trop récentes. Le gamin ferme les yeux et reprend sa mélodie en a cappella. Il n'a jamais supporté cette vision de mes bras amochés, je le comprends et le suis dans ses rêveries mélodieuses.

Cet abruti est la seule famille qu'il me reste depuis la fin de l'émission. Mathieu a déménagé, il travaille comme serveur de nuit. Le reste du temps, il écrit pour une nouvelle émission qu'il anime seul sur Internet. Chacun s'est trouvé une nouvelle vie ; Math est à Paris, le gosse étudie pour intégrer une école de commerce, le camé ne nous donne plus de nouvelles, quant aux différents membres de passage dans l'émission, ils paraît qu'ils ne vivent pas trop mal...

Cette famille que nous entretenons à deux est l'une des dernières raisons qui me maintiennent en vie. Il me semble que le gamin ne saisisse pas tout à fait la nécessité de sa présence et cela me rassure quelque peu. Ce que nous vivons, pour lui, doit forcément passer pour quelque formalité lorsqu'on vit avec « Patron ». Tactile, peu subtile sur les bords et plein de cette sincérité qu'on prête à l'homme saoul en fin de soirée. Cette sincérité qui ne le touche peut-être pas finalement, trop tard et tant pis.

Son nez taquine délicieusement mon cou tandis que celui-ci - autant que mes joues - s'empourprent de gène. Je lui propose quelque-chose à bouffer : j'ai faim et il se fait tard. Je sens ses lèvres s'étirer dans mon cou lorsque ce dernier me répond : « pas si je te dévore avant, mon chou ». Son air piquant m'empêche de réprimer un rire nerveux. Et il est fier de sa blague, l'enfoiré...

Deux bières fraîches à la main, je retourne dans la chambre où le flemmard a décidé de se mettre à l'aise. « Je fais comment, sérieux ? ». Il me regarde - toujours ce même sourire malicieux - et tapote la pauvre place qu'il me fait à côté de lui. Autant dire que je suis son clebs à ce rythme-là ! Je le pousse énergiquement, le laissant brailler comme à son habitude. « Pas cool mec ! ». Je ne peux m'empêcher de rire à cette phrase. Quel con n'empêche...

Il y a bien plusieurs heures de cela que je tente vainement de dormir. Me retourner, changer l'oreiller de place, respirer plus ou moins lentement... Imploser. Un rire amer s'échappe de mes lèvres tandis que je tâche de retenir quelques larmes. Encore un échec. La musique, l'air de la nuit puis la fumée, de tout cela, rien ne fonctionne. Je crains donc autant le jour que je craignais cet homme. Cela me fait rire, je ne me savais pas cynique à ce point.

« Patron ? » Ce timbre vaseux que je reconnais trop bien... A la vue de son visage, je m'aperçois qu'il n'a pas plus dormi que moi. Il s'approche de la fenêtre et se tient debout à mes côtés. Je pourrais faire comme de rien, à notre habitude, ricaner sur le choix douteux qu'il a pris de ne pas porter de bas mais je vois à sa triste mine que ce n'est pas le moment. Je comprends vite ce qui ne va pas mais de peur qu'il se froisse, je préfère ne rien dire. Ce soir. Silence.

« On y va.
- Attends... quoi ?
- J'ai dit : on y va. Prépare tes affaires et habille-toi.
- Mais, attends ! On part où ? ».

Épilogue pour une seconde vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant