034 | Déclin

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━━━━━━━━ Mai

Le regard perdu, Charlie contempla les lueurs de mai à travers la fenêtre du restaurant. Le parfum du printemps s'était installé dans les rues de Montréal. Timidement, la nature reprenait ses droits après les mois gris et blanc qu'elle avait subis. Les couleurs revenaient après une longue absence.

Pourtant, au fond d'elle, Charlie ne ressentait pas ces changements. Son moral était encore gris, comme si son coeur prenait plus de temps à se réchauffer.

Les drinks de la table six, l'interpella Félix d'une voix rauque.

Charlie remercia son collègue d'un signe de tête, puis alla porter les verres. Son travail se faisait presque machinalement à présent. Les choses commençaient à être redondantes au restaurant. S'en était presque lassant.

Charlie se demandait parfois s'il n'était pas venu le temps pour elle de passer à autre chose. Mais cette seule pensée lui semblait insensée. Jamais elle n'aurait le courage de poser les actions concrètes.

Tu aurais des Tylenols ou quelque chose contre le mal de tête? lui demanda Félix, derrière le comptoir.

Charlie fouilla dans la poche de son tablier.

Tiens, lui lança-t-elle. Pourquoi tu ne retournes pas chez toi? Tu as sûrement attrapé la grippe de Jenna.

Félix attrapa le médicament, en secouant la tête.

Non, c'est bon.

Charlie fronça les sourcils, insatisfaite par la réponse de son ami. Le jeune garçon avait le visage pâle. Son état se déclinait à vue d'oeil. Ses traits lourds laissaient paraître une grande fatigue.

Retourne chez toi, Félix. Il n'y a presque personne au restaurant, insista-t-elle. Éric va comprendre. Tu risques juste de nous contaminer.

Je ne peux pas.

La voix grave de Félix désarma Charlie. Elle resta en silence alors que, devant elle, son collègue semblait hésiter.

C'est ma dernière semaine ici, expliqua Félix, le regard baissé sur le comptoir du bar. J'ai démissionné. J'ai promis à Éric que je resterai jusqu'à samedi, le temps qu'il réorganise les horaires.

Chamboulée, Charlie ne réagissait pas tout de suite à la déclaration de Félix. La nouvelle était si soudaine, que cela ne pouvait faire de sens dans son esprit. Ses yeux scandalisés observaient le garçon qui, lui, paraissait imperturbable.

Pourquoi tu...

J'ai pris la décision sur un coup de tête, la coupa Félix. J'ai besoin de changer d'air.

Les explications de Félix étaient brèves, mais suffisantes. Charlie l'avait rarement vu avec si peu de mots. Il n'en fallut cependant pas plus pour qu'elle comprenne.

Depuis que Félix lui avait confié ce qu'il ressentait par rapport à Eugénie, Charlie voyait son ami cacher des sentiments qu'il ne voulait avouer. Il plongeait ses émotions en lui et coulait tranquillement avec eux. Ne laissant que son cœur comme une épave.

Tu vas faire quoi, alors? demande Charlie, déboussolée.

Je pars aux États-Unis. Au moins pour l'été, peut-être plus. Je verrai, déclara Félix. J'ai pas vraiment de plan en tête, tu sais. J'ai juste besoin de me vider la tête.

J'comprends.

C'était en fait un demi-mensonge. Charlie comprenait les motivations de Félix. Seulement, elle ne comprendrait pas où il trouvait le courage de prendre une telle décision.

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