Paris, 26 décembre 2021
21h48Alice ne savait pas vraiment ce qu'elle attendait, à patienter sagement sous la Tour Eiffel. Un signe du destin ne lui aurait pas déplu ; un minuscule message, quelque chose d'anodin, mais qu'elle pourrait interpréter comme une trêve bienvenue.
Debout, appuyée sur l'un de ses quatre immenses piliers, elle observait sa vieille amie, embellie par de nombreuses lumières dorées. Sa compagne des beaux jours ressemblait à un tout autre soleil, que tous les lampadaires du monde ne sauraient égaler.
Alice était alors, du moins dans ses pensées, tenue au chaud par cette nouvelle source de bien-être.En vérité, Alice savait ce qu'elle attendait. Elle hésitait à aller voir Notre Dame, n'attendait qu'un simple mot qui ferait pencher la balance du côté de la nostalgie et la déciderait, enfin, à aller regarder dans le froid la vieille cathédrale.
Elle voulait entendre les carillons une dernière fois avant de se réveiller le lendemain. Elle les reverrait, avant de s'endormir, courant autour des arbres, sautant des marches, avant qu'ils ne disparaissent derrière les murs imposants du lieu de culte.
Elle se sentirait nostalgique mais enfin complète, et puis, une fois le sentiment disparu, elle afficherait un sourire larmoyant, l'impression que quelque chose lui avait été volé. Et, plus tard encore, elle sourirait faussement à tous ses interlocuteurs, et au miroir devant elle. Rongée par la rancune, encore et encore, jusqu'au jour de sa mort.Mais, plus encore que la rancoeur, c'était la culpabilité qui la grignotait à petit feu. Pour quoi s'en voulait-elle le plus ? Parce qu'elle n'avait pas pu leur dire « je t'aime » à tous, une dernière fois ? Ou devait-elle s'excuser à elle même, de ne pas avoir été dans cette voiture avec eux ?
Tant de souffrance... Trop de souffrance pour son fragile corps...L'enfance d'Alice s'était conclue par un accident dont elle n'apprît l'existence que trois mois après qu'il ne se soit produit. Certains lui avaient souvent répété qu'elle aurait dû, d'une certaine manière, être présente, bien qu'ils sachent alors ce qu'elle encourrait. D'autres, en revanche, avaient pris le parti du destin, disaient que la vie avait fait en sorte qu'elle n'y ait pas été et que, au fond : « c'était pour le mieux, pas vrai ? ».
Quand bien même elle essayait de croire ceux qui avaient tenté de la rassurer, les paroles des autres et son propre esprit lui répétaient sans cesse qu'elle ne devrait plus être de ce monde. Elle aurait dû être là pour ce voyage. Ce dernier périple avant que ce microcosme n'éclate et ne se perde de vue, mains dans les mains.
Mais elle ne les revit qu'en rentrant en France, en mars d'une soudaine mauvaise année. Et ils étaient six pieds sous terre.Une voiture émit alors un bruit trop assourdissant et Alice n'en supporta pas plus. Elle détourna la tête, essuyant discrètement son nez fin refroidit par le vent du soir, et s'en alla. Sur son passage, elle effleura un des pieds de la tour qui avait veillé sur elle, hantée par de trop nombreux souvenirs, rongée par tant de remords.
Et il l'avait vue.
Tranchant la nuit comme un rayon de soleil, traversant les rues comme un chat sauvage, agile et solitaire. Kim Taehyung partait sans cesse dans la direction opposée et se retrouvait pourtant devant elle. Était-elle un aimant sur sa boussole, ou bien une sirène errant dans ses eaux douces ?
Il semblait qu'elle était un fantôme, hantant Paris, errant dans les rues connues pour ne croiser que lui.
Il avait l'impression de devenir fou, de la voir même quand elle ne devait pas être là. Il avait tâtonné ses poches une dizaine de fois dans la journée mais essaya à nouveau, priant pour que la relique y soit. Mais elle n'y était pas.Un souffle ennuyé se transforma en nuage lorsqu'il sortit de sa bouche. Il le regarda s'évaporer puis, parcouru d'un courant d'adrénaline, rattrapa en quelques foulées la jeune femme, sans pour autant oser l'approcher.
Il n'osait l'approcher mais adorait l'observer. Il adorait, malgré tout, regarder Alice jeter un regard à chaque chose qu'il n'aurait jamais remarquées. Il adorait distinguer dans ses cheveux le reflet des lampadaires.
Il adorait la voir vivre, sans savoir qu'elle était morte à l'intérieur.Il se demandait souvent comment elle pouvait bien faire pour ne pas s'être rendue compte qu'elle avait perdu son passeport.
Elle semblait ne pas s'en inquiéter et cela arrangeait bien le jeune homme, quelque part ; il pouvait encore n'être qu'un passant, aux yeux d'Alice. Mais il savait que le jour viendrait où il devrait le lui rendre, et lui parler ; et il ne savait que lui dire. À cette idée, il paniquait presque, était plus stressé que la première fois qu'il était monté sur scène.Alors ses yeux se perdirent dans les mèches brunes d'Alice puis sur ses propres chaussures. Il emprunta la route de sa chambre d'hôtel, ne remarquant même pas que leurs chemins s'étaient séparés à un passage piéton.
Il s'effondra dans son lit, l'odeur des draps lavés rendant ses songes moins pesants et il sombra dans les bras de Morphée alors que, de l'autre côté de la rue, Alice n'arrêtait pas de songer à ce qu'il se serait passé si elle aussi avait été dans cette voiture, le 31 décembre d'il y avait cela quelques années.Quand elle tomba enfin de fatigue, elle se dit en reniflant :
« Ça aurait été pour le mieux, pas vrai ? »
- j'essaie de couvrir mes oreilles mais je ne peux pas aller dormir -
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Singularity
Fanfiction𝐒𝐢𝐧𝐠𝐮𝐥𝐚𝐫𝐢𝐭𝐞́ : (𝘢𝘥𝘫.) : l'état, le fait, la qualité ou la particularité d'être singulier. (𝘯𝘰𝘮) : en physique, un point auquel une fonction prend une valeur infinie, spécialement dans l'espace-temps quand la matière est infiniment d...