𝘱𝘳𝘦𝘮𝘪𝘦̀𝘳𝘦 𝘪𝘯𝘵𝘦𝘳𝘭𝘶𝘥𝘦 : 𝘗𝘭𝘢𝘤𝘦 𝘥𝘦 𝘊𝘢𝘳𝘳𝘰𝘶𝘴𝘦𝘭, 𝟩𝟧𝟢𝟢𝟣, 𝘗𝘢𝘳𝘪𝘴

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Lorsque, le 5 juin 1662, Louis XIV donne une grande fête à
Paris, plusieurs milliers de spectateurs viennent contempler les
évolutions des cavaliers. Le spectacle est si impressionnant que la
place prendra le nom de « Place du Carrousel ».

Alice prenait le temps avant d'entrer dans le grand musée du Louvre. La place sur laquelle elle se trouvait lui offrait au moins une excuse pour elle-même : elle était bien trop grande pour que l'on puisse apprécier son apparence d'un unique regard. Cela faisait donc dix minutes qu'elle observait ce même sable beige qui s'envolait par volutes dans l'air quand un enfant courait sur la grande place.
Alors qu'elle s'était mise à rêver d'un retour à un si jeune âge, rempli d'insouciance et de rires heureux, elle se souvînt d'un été particulièrement fatiguant où son petit frère avait donné un coup dans sa glace à la fraise avant même qu'elle n'ait eu le temps d'y toucher. Elle lui avait alors couru après, tout autour des statues de cavaliers, puis de la grande pyramide du Louvre, sous les regards attendris de parents aimants.
Puis, quelques années après, ce même idiot l'avait encore ennuyée, alors elle l'avait poursuivi. Et l'année suivante, puis l'année d'après... comme un rituel, une boucle infinie, qui suivait le rythme de la place du carrousel.
Alice voyait devant ses yeux l'évolution de sa vie, dans une course poursuite qui lui sembla contre le temps, le sourire de ses parents, infaillible, perdurer sur leurs visages vieillissants.

Et puis...

plus rien.

Disparus,
derrière un enfant qui soulevait des volutes de sable.
En poussières.

''Adrien? murmura-t-elle, sans ancune force dans la voix."

Elle l'avait vu... Elle les avait vus. Ses parents, son frère... sa famille. Elle ne pouvait décemment pas croire qu'elle devenait folle au point de voir des fantômes. Mais pourtant, la file chronologique qui venait de se défiler devant ses yeux s'était bien arrêtée à une image d'elle, quand elle avait vingt ans.

"Adrien... prononça-t-elle, un peu plus fort."

Mais il n'y eut personne pour lui répondre, mis à part l'échos d'un passé douloureux, évité pendant bien des années. En fond sonore, les cris de jeunes enfants, atténués par les souffles devenus irréguliers d'Alice. Tout cela ressemblait aux sons de vieux films sur bandes. Et la sienne avait pris feu devant ses yeux.
Mais il devait y avoir un défaut sur la pellicule, la camera avait dû mal filmer, pas vrai? Sa famille restait quand même là, quelque part, cachée dans les buissons de la place, ou derrière une statue, mais elle était toujours là. Juste là, auprès d'Alice.

Et se fut alors qu'elle s'effondra en criant le nom de son frère, appuyée contre le marbre
d'une statue.
Ce fut alors impossible de la rater. Afficher ses émotions en plein Paris ? Quelle audace. Alors Taehyung tourna son regard comme tous ceux qui avaient pu entendre Alice. Elle avait l'air à bout de souffle, contre ce socle qui était bien trop imposant à côté de son corps recroquevillé.
Bien sur qu'il la reconnu, la question ne s'était pas même posée. Le ciel du jeune homme s'était assombri, des nuages de tourments se cumulaient, cachaient le bleu du ciel. Et, alarmé, il osa s'approcher.

Ses pas se firent plus rapides, il se mit à marcher à grandes foulées. Puis, après l'avoir entendue rire, il l'entendit pleurer. Et ses sanglots brisèrent son cœur. Ils étaient ceux du désespoir, ceux qu'il savait être incapable de taire.

Arrêté à quelques mètres à peine de la femme, il se posa encore la question. Pourquoi était-elle là ? Pourquoi était-elle toujours là ?
Elle n'était pas un fantôme, tant de personnes la regardaient encore...

Il avait d'ailleurs envie de leur hurler d'aller voir ailleurs, de peur que les beaux yeux d'Alice continuent d'être humides de honte après le désespoir.
Mais il reprit ses esprits et se rappela pourquoi il devait la voir. Il se dirigea vers Alice, la main tenant fermement le passeport de la jeune femme dans la poche de son long manteau. Et quand il arriva à son niveau, elle s'était déjà relevée et aussitôt elle l'arrêta, la main tendue devant elle :

"Je vais bien, merci de vous inquiéter, ravala-t-elle ses larmes."

Le jeune Taehyung ne put rien faire d'autre que rester posté, au garde à vous, comme un cavalier, en regardant la reine s'éloigner. Puis il la vit enfin. Il vit enfin sa démarche assurée quand bien même elle partait pour un autre enfer.

Il la vit enfin,
quand elle passa le pas d'une
nouvelle porte
et qu'il la perdit
dans la foule.

Et il courut à nouveau. Il courut à nouveau, soulevant derrière lui des volutes de sable dans lequel s'étaient perdus les souvenirs d'Alice.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 04 ⏰

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