무언가 깨치는 소리

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Paris, 25 décembre 2021
20 h 36

« Je ne pense pas que tu sois maudite »

   Dans le genre insensé, elle était plutôt aviateur-qui-a-le-vertige. Elle se disait souvent que, si elle avait eu des enfants, elle leur aurait d'abord appris a avoir peur plutôt qu'à parler. Elle était comme ça, depuis l'accident : attentive, un peu trop angoissée, engourdie par quelque bribe de parole entendue au loin. Tout la concernait, tout le monde savait, avant même que l'afflux électrique ne quitte son cerveau pour rejoindre le bon muscle, du prochain mouvement qu'elle allait faire.
   Bref, dans une partie d'échecs, elle ne pouvait que perdre.

« Je ne pense pas que tu sois hantée. »

   Chaque pion de l'échiquier de sa vie, qui s'étendait à perte de vue, était à un endroit bien calculé et, son adversaire, lui, avait le visage couvert d'un elle-ne-savait-quoi. C'était un voile d'ombre et de lumière qui les séparait, fait d'un tout mais de rien. Aussi profond qu'un trou noir mais aussi léger qu'une plume.
   Il ne suffirait que de tendre la main pour brouiller cette buée qui lui gâchait la vue.
   Mais elle était effrayée de ce qui pouvait se trouver de l'autre côté. Le mystère était si terrifiant qu'elle se savait déjà incapable de dissiper la dense brume.
   Mais elle était de retour à sa ville natale et il n'y avait pas de doutes, le voile finirait par se lever.

« Je pense... »

   Quant à lui, ce n'était qu'une question d'envie. Dans le style ambitieux, il était un marin d'eau douce naviguant sur une mer déchaînée. Il apprendrait à ses enfants à braver leurs démons, pour sûr, les ferait nager dès leur plus jeune âge, pour qu'ils puissent le rejoindre sur sa barque.
   Il n'avait plus peur, affrontait tous les défis que lui lançait la vie et les transformait en quelque chose de plus beau, s'assurait que personne ne se prenne dans de pareilles galères.

« Ce ne sont pas eux qui te retiennent. »

   Et, elle, se prenait les pieds dans chaque racine de la vie, n'osant crier, de peur de déranger. N'osant pleurer par soucis de garder la face. Dans le plus haut du ciel, elle souriait. Sans grand plaisir, certes, mais peut-être qu'ainsi les autres aviateurs la croiraient alors sans peur. Alors qu'en vérité, elle ne connaissait que ça.
   La peur, l'angoisse, la boule dans le ventre au souvenir de ces moments agréables qu'elle ne savait que gâcher et qui, peu à peu, s'effaçaient dans les limbes de la paranoïa.

« Tes démons, je veux dire... »

   Il n'y connaissait cependant pas grand chose aux malheurs de celle qui partageait son échiquier ; il ne voyait pas clair en elle. Si il avait pu regarder par delà le brouillard qui les séparait, peut-être aurait-il vu plus en détail la clarté de son visage et ses yeux si tristes que s'en écoulaient des larmes noires, cherchant à s'évader sur ses joues.
   Savoir si, oui ou non, elle essayait de l'ensorceler, de l'autre côté du voile de fumée, était alors impossible.
   Il lui sembla donc qu'elle n'était autre qu'un ange déchu.

« C'est toi... »

   Elle baisse les yeux quand elle marche dans l'aéroport. Elle ne voit que ses pieds, n'entend que sa musique, ne sens que son propre parfum, le nez enfoui dans son écharpe.
   Lui est plutôt tête en l'air, regarde partout sauf au bon endroit. De sa grande taille, il ne remarque personne. Il est juste distrait.
   Elle entend tout, à travers ses écouteurs.
   Il ne comprend rien de ce qu'il cherche à distinguer.

« ...qui les retiens près de toi. »

   Et c'est ainsi, lorsqu'elle se cogna à lui, et qu'il regardait partout ailleurs, que leurs différences s'entremêlèrent. Elle partit sans un mot, il regarda à ses pieds. Découvrit un carnet aux allures officielles, se baissa, le saisit et l'ouvrit.
   Dans le dos de la jeune femme, un certain Kim Taehyung murmurait le prénom d'Alice.

   C'est alors qu'au beau milieu du mois de décembre, à l'heure où toutes les fleurs se fanent à cause du froid de l'hiver, une autre s'était épanouie, sur les dalles de l'échiquier.

- Le son de quelque chose qui se casse -

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