I. Retrouvailles - 3

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- Désolé, murmura Arlette au bout d'un moment, sans se détacher de lui. J'avais si peur que vous ne veniez pas...

Le trémolo dans sa voix prouvait son émotion : elle avait les yeux brillants de joie.

Sans trop oser se laisser aller, Joseph plongea ses yeux dans les siens et laissa sa main glisser sur la chute des reims de la jeune femme.

- Allons, allons, crois-tu vraiment que je puisse être capable d'une telle muflerie ?

Celle-ci rougit brusquement, et il s'écarta enfin, aussi gêné qu'elle.

- Alors... demanda-t-il, un peu embarrassé - j'ai réservé dans un bon restaurant, cela te convient-il ?

Elle eut un sourire doux, et acquiesça avec enthousiasme.

Ils se mirent en route, l'un à côté de l'autre, longeant l'avenue, puis les larges rues des quartiers chics. Leurs épaules se frôlaient, sans qu'ils n'osent induire un quelconque contact.

Arlette sentait des dizaines d'oiseaux danser dans ses entrailles. La soirée était trop onirique.

Elle fixait Joseph, en oubliant de regarder où elle allait. Son profil aristocratique se découpait dans le ciel bleu estival.
C'était une belle soirée de début d'été, comme on en voit peu.

S'apercevant qu'Arlette l'observait, il lui offrit un sourire hésitant, et ils échangèrent un regard enfiévré.

Ils se remirent à discuter, et Joseph énuméra à la demande d'Arlette ses engagements professionnels récents, allant du Carnegie Hall à la Philarmonie de Berlin avec une modestie qui lui faisait honneur. La jeune femme constata qu'il était loin d'avoir relâché de la pression, c'était d'ailleurs un miracle qu'il ait pu se libérer un soir pour elle.
Parfois, en côtoyant l'homme, Arlette en oubliait le génie.

La soirée était chaude et douce, assez pour donner envie de flâner sans pour autant écraser de moiteur les badauds.

À l'instant où ils s'étaient arrêtés devant le restaurant où Joseph avait réservé, les yeux d'Arlette s'étaient illuminés.

C'était un restaurant très chic, évidemment, mais la beauté du bâtiment et de la terrasse, avec sa vue sur les quartiers dix-neuvième de la ville, ne pouvait que séduire.

Ils étaient entrés, aussi gênés et maladroits l'un que l'autre. Joseph avait débarrassée Arlette de sa veste et lui avait tiré la chaise avec une galanterie un peu datée qui la surprit et la fit sourire.

Et puis ils avaient commandé, sans prêter beaucoup d'attention à la nourriture, mais se noyant dans les yeux l'un de l'autre.

Arlette émanait quelque chose de nouveau, complètement différent d'il y a quelques années : une certaine assurance, qui faisait d'autant plus rayonner son charisme.

Ils parlèrent énormément, de leur découvertes et projets musicaux, essentiellement, mais aussi de peinture, de littérature et d'œnologie.

Après avoir terminé, Joseph avait insisté pour régler l'addition avec une politesse très datée qui avait fait sourire sa compagne. C'était absolument irrésistible.
Ils étaient sortis du restaurant, et s'étaient mis en marche côte à côte le long du boulevard. La nuit était tombée, et ils marchaient lentement en regardant la ville illuminée.

- Vous savez, dit Arlette au bout d'un moment, j'ai passée l'une des plus merveilleuses soirées de ma vie.

Surpris par la nuance presque euphorique de sa voix, il s'arrêta et riva ses yeux bleus à son visage. Il y lut une absolue franchise, et le sourire radieux qu'il y trouva fit encore s'accéléérer son coeur :

Il l'aimait, c'était certain, et cette douloureuse certitude le laissait chancelant.

Ils se remirent en marche en silence, s'engageant sur le pont qui surplombait le fleuve, et, soudain, sans crier gare, Arlette encercla son bras du sien et se dressa vers son oreille ;

- Vous tremblez, Joseph, chuchota-t-elle.

Surpris, il s'arrêta net, et se tourna vers elle. Au dessus d'eux, des étoiles apparaissaient par dizaines dans le ciel au dessus d'eux.

- Je sais, répondit-il, le souffle erratique, lui faisant maintenant face, et elle sourit, reconnaissant la réponse qu'il avait faite à sa déclaration d'amour cinq ans plus tôt, après le concert de Semplice Furioso.

Il était immense, et elle ne le remarquait que maintenant, alors qu'ils étaient si proches...

Leurs regards s'ancrèrent l'un dans l'autre, et elle se haussa sur la pointe des pieds tandis qu'il se penchait à l'extrême pour rapprocher leurs visages.

Cette fois, personne ne les surprendrait, ce qu'ils faisaient n'avait rien de moralement répréhensible.
Cette fois-ci, Joseph ne pouvait pas la repousser. Il savait qu'il en serait désormais incapable.

- Arlette... murmura-t-il. Es-tu bien sûre... ?

Son seul sourire, fendant son visage que les ombres de la nuit faisaient paraître particulièrement théâtral, lui répondit.

Et il n'en fallut pas plus à Joseph pour franchir la faible distance entre eux, et pour unir leurs lèvres, avec pour la première fois depuis cinq ans un sentiment d'assouvissement lorsqu'elle s'étira vers lui pour répondre à leur premier vrai baiser, des feux d'artifices éclatants dans sa gorge, son coeur semblant prêt à se briser de joie.

Similarities - Dissimilarity BonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant