I. Retrouvailles - 4

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Joseph ne trouva désormais plus la force de regretter leurs retrouvailles, pas plus que la soirée passée ensemble et qui s'était conclue par un authentique baiser, ainsi que toutes celles qui avaient suivi. Il ne regretta pas non plus les réponses particulièrement sensées qu'Arlette apporta à ses arguments les jours suivants lorsqu'il tenta de lui prouver qu'elle risquait de tomber de haut s'ils continuaient de se fréquenter.

Il ne regretta pas son rejet franc de sa proposition d'entretenir une honnête amitié. Oh, pas qu'elle ne veuille pas de son amitié, tout au contraire. Mais elle lui fit comprendre d'une façon sans équivoque que cette amitié serait couplée à quelque chose d'infiniment plus étroit.

Il ne regretta pas l'usage du tutoiement qu'elle avait adopté assez naturellement, les mettant - enfin ! - sur un pied d'égalité.
Il ne regretta certainement pas d'avoir le loisir de l'enlacer, l'embrasser, de lui dire des mots d'amour qui lui brûlaient la gorge, et de voir chaque jour à quel point son bonheur était éclatant. Et c'était grâce à lui, disait-elle.

Il pensait à cela en laissant son regard glisser sur son dos nu, face à lui, sur les épaules blanches qui se soulevaient à un rythme régulier, sa nuque dégagée, ses courtes boucles roux sombre répandues sur l'oreiller, et ses hanches que le drap couvrait. Même son sommeil était une des plus belles choses qu'il ait vues. Il écoutais le léger ronflement qu'elle émettait, en songeant qu'il en tirais autant de plaisir qu'en écoutant un choral de Bach. Et il ne pouvait que penser qu'il était sûrement l'homme le plus chanceux de la terre.

Arlette frissona dans son sommeil.

Joseph se leva, et sacrifia son plaisir d'observer l'étendue de peau exposée au confort de la jeune femme, qu'il recouvrit du drap d'un geste précautionneux afin de ne pas la réveiller, avant de déposer un tendre baiser sur sa tempe.

Cela faisait trois jours qu'ils avaient officialisé. Enfin, officialisé était un bien grand mot, car personne en dehors des amis qu'Arlette avait gardés en France n'étaient informé. Il était hors de question qu'Arlette informe sa famille de sa vie sentimentale et Joseph n'avait pas de famille en France.

En fait, il s'agissait plutôt d'une mise au point entre eux.
Joseph jouait ce soir-là en récital dans une prestigieuse salle de concert. Il n'avait pas vu Arlette depuis quarante-huit heures, et déjà elle lui manquait. La séparation avait été trop longue pour qu'il puisse désormais supporter son absence.

C'est ce qu'il avait essayé - avec succès - de traduire dans sa musique. Saintes-Colombe et Purcell pour la douleur de la séparation, Marais pour le soulagement de la retrouver, Pachelbel pour l'amour sans fin qu'elle lui inspirait, Bach pour la tendresse de leurs moments ensemble au cour de ce dernier mois et la promesse d'un avenir commun.

Décidément, elle l'inspirait.

Aussi, il fut consterné quand à l'issue de la représentation, épuisé physiquement et mentalement, il vit débarquer Arlette
dans sa loge, les yeux embués.

Dans l'encadrure de la porte, elle était restée figée un instant, et ses yeux disaient tout.

Joseph s'était alors tourné vers l'employé de la salle qui était venu apporter de l'eau. Celui-ci regardait Arlette avec de grands yeux vides, la mâchoire prête à se décrocher. Arlette était une belle jeune femme, et il n'était pas rare qu'elle provoque des réactions similaires.

- Pourriez-vous nous laisser un moment, s'il-vous-plaît ? avait-il demandé, réprimant avec difficulté son agacement.  Il n'était pas dans son habitude d'être mordant, mais la situation l'embarassait.

Le jeune homme, l'air confus, s'était aussi tôt éclipsé, et dès que la porte s'était refermée, ils s'étaient étreints longuement.

- C'était absolument merveilleux, Joseph, avait-elle dit, la voix pleine d'émotion.

- Il faut croire que ton influence est excellente, avait-il soufflé dans son cou, très franc.

Stupéfaite, Arlette s'était séparée de lui et avait rivé son regard au sien.

C'était la première fois depuis leurs retrouvailles que Joseph concédait un quelconque mérite à leur début de relation. Depuis quelques semaines, il ne pouvait que se borner à son âge, à la crainte de profiter d'elle, de son statut et des événements qui s'étaient déroulés plusieurs années auparavant.

À cet instant, Arlette avait comprit qu'il avait dépassé cette considération. Ses yeux avaient flamboyé, et Joseph avait cru que son cœur allait exploser. Devant sa joie, il n'avait pu se retenir plus longtemps et attrapait ses deux mains avec emportement :

- Arlette, je t'aime. Je t'aime à un point...

De surprise, sa bouche s'ouvrit. Cela faisait plusieurs semaines qu'elle se retenait ces mots brûlants, par peur de l'effrayer par son empressement. Mais Joseph venait de le faire pour elle.

La jeune chanteuse avait de nouveau sauté à son cou pour enfouir son visage clair dans les plis de son smocking, trop émue.

- Je t'aime aussi, Joseph, avait-elle haleté.

Joseph se souvenait parfaitement de la sensation de sa peau douce contre sa main calleuse lorsqu'il avait pris son visage en coupe pour essuyer de ses pouces les larmes qui perlaient sur ses pommettes.

- Et je veux te le dire tout les jours, avait-il ajouté à mi-voix, aussi longtemps que je le pourrais.

Joseph avait cédé, sans beaucoup de regrets. Naguère, il s'en serait affreusement voulu pour son égoïsme, mais il ne se fit cette fois-ci aucun repproche.

Il voulait Arlette, une vie avec elle, aussi courte soit-elle, et tout ce que cela leur apporterait.

Mais, par dessus tout, il voulait le bonheur d'Arlette, et venait d'accepter que celui-ci dépendait de lui.

Ainsi avait commencé leur couple, après sept ans de tourmente.

                   - Fin de la partie I. -

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 10, 2022 ⏰

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