Chapitre deux

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Grace

Boston, 18 décembre 2002

Je souffle mes bougies aujourd'hui. Maman a fait la sourde à mes protestations et a décidé que malgré les circonstances, il serait bon pour moi de fêter mon anniversaire. 

Je me demande si ce n'est pas plutôt bon pour elle. 

Elle est rarement joyeuse, mais aujourd'hui, elle avait le sourire aux lèvres en accueillant les autres mères dans notre salon.

Elles prennent le thé, tandis que les autres enfants et moi sommes confinés à l'étage, dans ma gigantesque salle de jeu. Bien sûr, les deux personnes qui comptent le plus à mes yeux ne sont pas présentes. Leith n'est toujours pas réapparu après notre partie de cache-cache. Les policiers qui m'ont interrogée avec mes parents m'ont expliqué qu'il était porté disparu et que tout ce que je pouvais leur communiquer pourrait les aider à le retrouver. Mais je suis inutile. 

Je n'ai rien vu. 

Rien entendu. 

J'étais trop obsédée par l'idée de gagner la partie en trouvant la meilleure cachette. Et Fahd... Il ne sort plus de chez lui, depuis que c'est arrivé. Parfois je me demande si c'est parce qu'il est puni, ou si c'est parce qu'il est triste, ou qu'il ne veut plus me voir.

Papa dit que la disparition de Leith est une tragédie. Maman dit que nous devons déménager. Le quartier n'est pas sûr, si un enfant peut s'évaporer du parc attenant comme par magie. 

Comme tout ce dont ils discutent, c'est un énième sujet de dispute.

Je tire sur ma paille pour prendre une gorgée de jus de pomme. Je déteste avoir leurs hurlements en tête, mais ils tournent en boucle dans mon crâne, maintenant que Leith et Fahd ne sont pas là pour me changer les idées.

Au centre de la pièce, le clown que maman a embauché pour la journée s'amuse à former des animaux avec ses ballons colorés. Si mes meilleurs amis avaient été là, cela m'aurait peut-être fascinée. Sa dextérité manuelle et sa patience.

Mais là, je suis prête à rouler sous la table et à rester cachée, même si je dois m'occuper avec une livre de recettes, ou le vieux dictionnaire que « j'emprunte » à mon père. Maman préfère m'acheter de jolis vêtements plutôt que des romans, alors je dois souvent composer avec ce qui me tombe sous la main, dans les périodes où papa passe trop de temps avec ses patients, et pas assez avec moi, pour savoir qu'il doit m'acheter de nouvelles histoires.

Je pousse un soupir, lève les yeux au plafond. Maman a perché un diadème sur ma tête, pour faire croire que je suis une princesse, mais il pique et ma robe rose me démange. Elle sait que j'aime bien « la belle au bois dormant », aussi, elle a choisi de me déguiser en Aurora. Sauf que j'ai plutôt l'impression d'être une grosse meringue. Le tissu est tellement lourd, que je ne peux pas absolument pas courir pour fuir et aller chez les Taleb. Et si je décidais de dévaler les escaliers, je roulerai, roulerai, roulerai, comme un ballon.

Puis je connais ma maman. Pour tuer dans l'œuf toute possibilité de m'échapper, je suis sûre qu'elle veille sur la porte du coin de l'œil. Comme Cerbère veille sur la trappe dans le premier Harry Potter...

— Grace, regarde mon chien ! me hèle Marnie, en m'adressant un large sourire.

Contrairement à moi, elle n'a pas besoin de cacher sa bouche avec ses mains à chaque fois qu'elle parle. Ses nouvelles incisives ont déjà poussé, alors que j'ai toujours un trou énorme qui laisse passer ma langue quand je n'y fais pas attention. Je le déteste. Mais je déteste encore plus le fait qu'il y ait tous les gens de mon âge, sauf Fahd et Leith.

Gotta Be You (réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant