Chapitre Treize

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Arès

Ça cogne dans ma poitrine alors, ça frappe à m'en donner le tournis, à m'en donner la nausée. Marísa à côté de moi a toujours son bras passé autour de ma taille même si le mien a quitté ses épaules à l'instant où Elínór a cogné nos corps. Ça a provoqué une décharge et fait naitre ce sentiment dans le fond de mon estomac. Quelque chose de sourd, de lourd, d'acide et d'amer qui remonte tandis que la certitude de ne pas le croiser ce soir s'envole. Il ne sort jamais le soir pourtant. Je n'avais pas revu Marísa mais je sortais avec les gars ce soir et en allant en bar elle s'est installée avec nous, elle s'est assise sur mes genoux et je me suis dit que ce n'était pas si grave de toute façon, parce qu'Elínór ne le saurait jamais et qu'il n'était pas sérieux sûrement, quand il me demandait de ne jamais la revoir, que c'était lui ou elle. Qui fait véritablement ça. On demande des choses stupides pendant l'amour, on en accepte des toutes aussi ridicules, c'est ce qui nous est arrivé et pourtant quand Markus s'approche d'Eli qui évite son bras, c'est mon corps qui s'approche. Un pas. Un seul. Un seul dans sa direction, un mouvement instinctif alors qu'Eli recule et répète plus fort, trop fort, Qu'est-ce qu'il y a ?

Nos yeux se rencontrent alors, et c'est mon cœur qui se serre, mon estomac qui se retourne sous mille accusations dans son regard, mille déceptions et j'entrouvre mes lèvres – sauf que Kjartan ricane et se tourne vers moi,

— Non mais il a un problème.

Il dit ça comme s'il n'était pas là, il prend le parti qu'il ne l'entendra pas, et finalement il lève un sourcil quand il se rend compte que je ne réponds pas.

— Arès, oh. Il t'a bousculé. Tu fais quoi ?

Et le bout de mes doigts s'électrifie tandis que je prends conscience de la situation dans laquelle on est. Le vent fait souffler ses boucles blondes, emporte son parfum de fleur ; Markus s'est approché à nouveau d'Eli qui a pris un pas de recul en relevant le menton, et moi je me racle la gorge pitoyablement,

— Il a pas fait exprès.

— Quoi ?

— Il a pas fait exprès, il m'a pas vu.

— Il est sourd, pas aveugle, il t'a bousculé vieux oh ! Tu me fais quoi ?

Et c'est vers moi qu'il se dirige alors pour me pousser un peu, frapper mon torse puis claquer ma joue en approchant son visage si près que je peux sentir son haleine emplie d'alcool.

— Tu le frappes. Question d'honneur. Arès t'es bourré ou quoi ? C'est l'autre sourd, on s'en fout !

Mais je me dégage et le repousse, m'approche finalement en deux longues enjambées d'Eli et Markus – les yeux du premier brillent, tristes. Tu vas me frapper, c'est ça qu'ils crient, mais j'attrape plutôt Markus par le col et fait tonner ma voix,

— On s'arrache c'est bon, on va pas perdre notre temps avec lui – Kaj, Marí, on s'arrache, j'appelle par-dessus mon épaule sans un regard pour Eli.

Elínór

C'est idiot, ce que je fais après ça. C'est idiot et impulsif mais quand je le vois qui s'éloigne avec elle, ça remonte dans ma poitrine, ça insuffle un arrière-goût amer, un voile bleu à ma vision, et je lève la voix soudain pour le rappeler. J'ai juste prononcé son prénom et quand il se tourne je penche la tête, change d'appui sur mon pied, mes yeux brillent et reflètent la lumière vacillante d'un lampadaire dans la rue. Je voudrais lui demander s'il est sérieux. Tant pis pour les autres ; tant pis s'ils comprennent. Pourquoi tu fais semblant de ne pas me connaître quand on se croise, pourquoi tu restes avec elle – mais ce sont d'autres mots qui sortent de mes lèvres, plus amers encore, plus tristes aussi.

Les glaciers pleurent en étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant